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Contrôle des IDE: la Suisse, zone de non-droit?

Les investissements directs étrangers sont encadrés dans plusieurs pays d'Europe. Par Hélène Weidmann et Luca Ruggiero

Le contrôle des investissements directs étrangers se renforce dans de nombreux pays de l'UE. La Suisse s'apprête à faire de même.
KEYSTONE
Le contrôle des investissements directs étrangers se renforce dans de nombreux pays de l'UE. La Suisse s'apprête à faire de même.
Hélène Weidmann
BianchiSchwald - associée
Luca Ruggiero
BianchiSchwald - avocat-stagiaire
29 novembre 2022, 18h30
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Notre pays est-il exempt de tout contrôle des investissements étrangers (IDE) dans les sociétés sises sur son sol? La situation actuelle est amenée à évoluer à moyen terme.

A ce jour, aucune limitation générale relative à l’acquisition de sociétés helvétiques par des Etats ou des personnes étrangères, respectivement domiciliées à l’étranger, n’est en vigueur. Néanmoins, un contrôle indirect est exercé par le biais de diverses réglementations sectorielles, dont notamment la Lex Koller (Loi fédérale sur l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger) ou le droit des marchés financiers. Par ailleurs, la plupart des entreprises fournissant les infrastructures considérées «critiques» (eau, électricité, routes, chemins de fer) sont également protégées dans les faits, dès lors qu’elles sont majoritairement détenues par l’Etat [i].

Paris et Berlin veillent

Dans l’Union européenne, pour des motifs de sécurité ou d’ordre public, un cadre global de filtrage des IDE a été mis en place par le R2019/452 [ii]. Ce dernier fixe le contour des systèmes de contrôle choisis par les Etats membres, mais ne leur impose pas de s’en doter, et ne confère, a fortiori, aucun pouvoir décisionnel à la Commission. Ainsi, c’est le droit applicable dans chaque Etat qui prévaut.

Chez nos voisins français, tout IDE conduisant à l’acquisition du contrôle d’une entité nationale ou menant à franchir le seuil de 25% de ses droits de vote, déclenche un processus d’autorisation, dès lors que celle‑ci exerce dans un domaine sensible [iii]. Aux titres de ceux-ci, la loi mentionne notamment les armes, les technologies à double usage, l’approvisionnement en eau, en énergie ou encore le domaine des transports.

La législation est similaire en Allemagne. Elle comprend trois seuils d’investissement impliquant ce prérequis (10, 20 et 25%), selon la sensibilité du domaine touché.

Quant aux pays de l’UE de taille comparable à la Suisse, la Suède connaît un système similaire au nôtre, tandis qu’un contrôle généralisé des IDE entrera en vigueur en Belgique au 1er janvier 2023. On dénote la vague législative actuelle en ce que hormis la Suède, l’entier des pays précités a modifié sa législation relative aux IDE depuis la crise sanitaire, la renforçant ou l’instaurant.

Le projet du Conseil fédéral

La Suisse n’échappe pas à ce mouvement, renforcé par la guerre en Ukraine et les risques de pénuries qui y sont liés. Ainsi, le Conseil fédéral, malgré son opposition répétée à un contrôle généralisé des IDE, a mis en consultation un avant-projet de Loi fédérale sur l’examen des investissements étrangers (LEIE) [iv], le 18 mai 2022, ensuite de l’adoption d’une motion 18.3021 Rieder par le Parlement. A l’instar des législations étrangères évoquées ci-dessus, ladite loi ne viserait que les acquisitions étrangères propres à mettre à mal la sécurité ou l’ordre public.

En ce sens, le texte prévoit trois catégories de prises de contrôle étrangères soumises à autorisation, dont deux inconditionnelles: (i) les acquisitions d’investisseurs étatiques étrangers et de personnes proches d’un Etat, indépendamment du type d’entreprise, et (ii) les acquisitions touchant des domaines considérés particulièrement critiques, au rang desquels les armes, l’approvisionnement en eau, gaz et électricité, ainsi que les systèmes de sécurité informatique.

Le texte prévoit ensuite une dernière catégorie, soumise à un contrôle conditionnel: (iii) les acquisitions relatives à des domaines moins sensibles, mais néanmoins dignes de protection, dont les entreprises pharmaceutiques, celles exploitant les aéroports, les infrastructures ferroviaires, et les réseaux de télécommunication, les banques systémiques ou encore les hôpitaux, à condition que la cible ait réalisé un chiffre d’affaires annuel supérieur à 100 millions de francs.

Le rôle du Seco

Le système proposé se distinguerait toutefois de ceux de nos voisins, prévoyant la possibilité pour le Conseil fédéral d’exclure les investisseurs de certains Etats du champ d’application de la loi, si l’ordre et la sécurité publics sont garantis à leur égard. De même, un seuil devrait être atteint par l’entreprise visée pour emmener cette obligation: celles ayant compté moins de 50 postes à temps plein et réalisé un chiffre d’affaires annuel mondial moyen inférieur à 10 millions de francs sur les deux derniers exercices étant automatiquement exclues du contrôle. L’on comprend en ce sens une notion autonome de PME, différente de celle connue en matière de LFus (Loi sur la fusion), et restreignant ainsi la portée de la LEIE.

Sous l’angle de la mise en œuvre de la loi finalement, c’est le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) qui se trouverait en charge de l’examen des investissements. L’Avant-projet prévoit une procédure d’approbation en deux étapes. Dans un délai d’un mois à compter de la réception de la demande, le Seco déciderait, en accord avec les unités administratives concernées et après avoir consulté le Service de renseignement de la Confédération (SRC), si l’acquisition peut être approuvée directement ou si une procédure d’examen doit être ouverte. Si cette dernière option était privilégiée, le Seco devrait ensuite rendre sa décision dans un délai de trois mois, toujours en accord avec les unités précitées. Enfin, si ces dernières venaient à conclure à l’interdiction d’un investissement, respectivement à ne pas s’entendre quant à son sort, il reviendrait au Conseil fédéral de prendre la décision finale, sur proposition du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche.

Référendum attendu

Ainsi, en ligne avec la tendance internationale, la Suisse envisage aujourd’hui de se doter d’un instrument de contrôle des IDE, malgré les réticences affichées par le Conseil fédéral. Ce projet ne reste cependant que musique d’avenir, en ce que le sort de la LEIE semble loin d’être tranché, et qu’il est fort probable qu’elle soit soumise à un référendum le moment venu.

Le débat politique à venir, sur fond de crise sanitaire et de retour de la guerre en Europe, promet d’apporter son lot d’arguments en faveur des deux camps, opposant sécurité des infrastructures essentielles aux coûts et aux conséquences de la mise en œuvre d’un tel contrôle, toujours plus d’actualité.

[i] Amtliches_Bulletin_Druckansicht.pdf ; L’examen des investissements, à soutenir ou à proscrire ? – La Vie économique (dievolkswirtschaft.ch) ;

[ii] Règlement (UE) 2019/452 du Parlement européen et du Conseil​​​​​​​ du 19 mars 2019 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union;

[iii] https://www.tresor.economie.gouv.fr/services-aux-entreprises/investissements-etrangers-en-france/les-conditions-d-une-operation-soumise-a-autorisation-prealable;

[iv] 71562.pdf (admin.ch)