Le monde bancaire d’affaires est en pleine mutation. Il souffre et n’arrive plus à servir ses clients principalement en raison de l’augmentation des règles de diligences sur la probité de l’origine des fonds, que ce soit à la création d'une entreprise ou lors de transactions. Cela affecte grandement les petites entreprises et rend les affaires plus complexes en augmentant leurs risques.
La raison de ces changements de régulation est noble. Cependant, le curseur n’est-il pas placé trop haut, freinant inexorablement le développement des affaires? La concurrence avec les néobanques ne va pas forcément changer la donne, car ces dernières ont aujourd’hui des largesses offertes par le régulateur, principalement pour les laisser entrer dans ce nouveau marché, mais dès qu’elles vont prendre en importance, elles vont, elles aussi, être contraintes aux mêmes règles que les banques traditionnelles qui souffrent aujourd’hui.
Nos politiciens doivent plus s’impliquer dans ce problème bancaire, mais qui osera, en effet, entrer dans ce débat qui peut donner l’apparence de vouloir favoriser les criminels? L’équation est complexe.
Le constat est cependant le suivant:
La banque universelle au sens noble disparaît. Les banques choisissent leurs clients et laissent les moins rentables sur le côté, privilégiant la banque privée très rémunératrice.
Les sociétés dites de domicile sont chassées comme une maladie honteuse. Cela affecte de nombreux secteurs économiques comme les start-up, les petits entrepreneurs, les activités en lien avec le monde numérique qui déploie de nouveaux modèles économiques et sociétaux, ou encore les personnes dites étrangères qui souhaitent créer leur entreprise en Suisse, etc.
La majeure partie des banques suisses se concentre sur le marché local exclusivement, éliminant les comptes des petites entreprises travaillant avec l’étranger ou ayant des actionnaires étrangers Il y a donc beaucoup trop d’offres bancaires pour le marché local.
Le service et la commisération légendaires des banques envers leurs clients ne sont plus. Le service est laborieux. Il faut des temps séculaires pour obtenir une simple ouverture de compte, principalement dû au manque de personnel ou à celui délocalisé opérant d'un autre pays. Cette réduction des coûts est en lien avec la volonté de rentabilité de cette activité et l’augmentation de la réglementation de compliance.
Plus personne au sein d’une banque ne décide. La chaîne de décision a été tellement saucissonnée, pour que personne ne devienne responsable. Une simple décision doit passer par de multiples processus, ce qui permet d’enlever toute responsabilité personnelle des employés bancaires, mais ralentit considérablement tout processus.
Les banques ont une peur viscérale d’être exposées publiquement dans une affaire de blanchissement, de corruption ou d’évasion fiscale, sans compter que le gendarme financier leur occasionnerait des frais importants voir des ruptures de l’autorisation d’exploitation de l’activité.
Cette situation offre aux banques des conditions avantageuses pour la captation de leurs clients dits «rentables» et uniquement ceux-là. En effet, le travail d’Onboarding d’un client est tellement compliqué, que le client reste captif et décidera à deux fois avant de changer de partenaire bancaire.
Le monde devient de plus en plus complexe, les réglementations freinent inexorablement les entrepreneurs dans leur volonté de créer de la valeur.
Eric Maire
Le monde devient de plus en plus complexe et freine inexorablement les entrepreneurs dans leur volonté de créer de la valeur. Sans entrepreneur il n’y a pas d’emploi et sans-emploi, il n’y a pas de revenu pour les États, qui empruntent toujours plus. Il faut que ces mêmes États soient conscients de ces difficultés, mais surtout qu’ils agissent en mettant en place des solutions qui apporteraient un soutien dans ce domaine. Attendre qu’un acteur privé s’installe dans cette niche bancaire serait une erreur, car il n’est pas certain que cela se produise, et, si cela se produit, la question est quand ? Et à quel prix ?
Il est toujours possible de créer des entreprises en Suisse, mais cette activité est beaucoup plus complexe que par le passé. Il y a 10 ans l’ouverture d’un compte de consignation prenait 1 jour, avec simplement le nom et le capital de la nouvelle société. Actuellement, il faut au minimum 3 mois, et un travail conséquent accompagné de nombreux documents pour démontrer la probité des actionnaires. Le surcoût de cette mise en œuvre est difficilement explicable aux clients étrangers qui ont tous une idée générique et manichéenne de la Suisse datant d’il y a 20 ans. Lorsque l’on compare la facilité de création de sociétés aux USA, en Angleterre, et dans d’autres pays où la consignation de somme importante n’est pas requise et dont le processus se fait par Internet, la complexité suisse et difficilement explicable aux étrangers. Il est donc de plus en plus difficile de vendre la Suisse de nos jours, même si le gouvernement à tous les niveaux investit toujours beaucoup dans ses promotions économiques exogènes.
Nous devons accélérer l’utilisation des outils digitaux pour ces services, certes il existe le « Portail PME Easy Gov » et d’autres outils cantonaux qui ont été mis en place, mais c’est lacunaire, peu efficace et compliqué d’accès. De plus, lorsque l’on observe la vétusté des dirigeants de nos systèmes de l’information digitale à Berne, les multiples scandales à répétition et leurs choix des plus critiquables dans l’hébergement de nos données, notamment par des prestataires chinois, il faut absolument installer une révolution dans cette gouvernance-là.
Prochain chapitre: La réponse de l'Association suisse des banquiers
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Une série spéciale en huit chapitres
Eric Maire n’est pas banquier, mais il en côtoie dans sa vie professionnelle depuis plus de 25 ans. Administrateur d’une vingtaine de sociétés, il a été amené à contacter la majeure partie des banques en Suisse romande au cours de l’année 2021. Il tentait d’ouvrir des relations bancaires pour des sociétés établies en Suisse, soit déjà existantes, soit en création par des actionnaires étrangers. Eric Maire a aussi interrogé d’autres entrepreneurs, anciens banquiers et experts dans ce milieu. Il tire de cette expérience un grand texte d’analyse sur ce marché toujours plus régulé, vu par un entrepreneur. «L’Agefi» le publie cet été en huit chapitres.