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Brésil: de l'ordre ou du progrès?

Suite aux événements du 8 janvier, la bureaucratie gouvernementale est à pied d'œuvre pour produire un plan d'action global. Par Joseph Marques

«A 77 ans, Lula semble plus concentré sur son héritage (voir Mandela) et sa réputation de combattant contre la pauvreté, la faim et les inégalités que sur des débats idéologiques.»
KEYSTONE
«A 77 ans, Lula semble plus concentré sur son héritage (voir Mandela) et sa réputation de combattant contre la pauvreté, la faim et les inégalités que sur des débats idéologiques.»
Joseph Marques
Webster University - Professeur de relations internationales
27 janvier 2023, 10h10
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Les événements du 8 janvier à Brasilia contrastent fortement avec l’ambiance joyeuse de l'investiture du nouveau gouvernement une semaine plus tôt. Après quatre longues années de luttes politiques de plus en plus polarisées, le président Lula da Silva est de retour avec son troisième mandat exactement vingt ans après sa première victoire électorale.

Considéré comme l'antidote contre les politiques extrémistes concernant l'environnement, les droits de l'homme et les groupes minoritaires, Lula revient plus affaibli et dépendant désormais d'une coalition avec des voix insuffisantes pour contourner le blocage du Congrès ou pour adopter des amendements constitutionnels. Et il fait face à un environnement économique international beaucoup moins favorable.

Ce premier défi ajoute la sécurité publique à une déjà très longue liste de priorités. Le contrôle effectif sur les forces armées, largement considérées comme pro-Bolsonaro, souligne la fermeté avec laquelle Lula doit s'affirmer en tant que chef des forces armées appuyé par sa victoire électorale. Le récent limogeage du chef de l'armée est un premier geste contre l'insubordination et de méfiance mutuelle.

Jair Bolsonaro est de plus en plus diminué mais le «bolsonarismo», l’opposition extrémiste d'extrême droite, demeure une menace gênante à la résilience démocratique du pays. Lula est confronté à plusieurs défis importants. Comment va-t-il jongler ses priorités de politique sociale, environnementale et de la santé tout en maîtrisant les dépenses? Comment va-t-il gérer une coalition hétérogène de neuf partis? Le grand gouvernement est bien de retour au Brésil où l’administration fédérale est passée de 23 à 37 ministères. En plus, les coalitions politiques ont la tendance à ne pas se comporter de manière cohérente et disciplinée et le Congrès est connu pour sa prédisposition à une corruption excessive. Lula devra également faire face à une Cour suprême militante et souvent vue comme la branche dominante du gouvernement.

Le Brésil cherchera à se réaffirmer sur la scène internationale, dans les forums multilatéraux, dont la Genève Internationale

Joseph Marques

Les perspectives économiques sont tout aussi difficiles avec des taux d'intérêt élevés, un ralentissement économique mondial, l'endettement croissant des familles, du chômage et de l'inflation élevés. Presque tous les principaux défis gouvernementaux tels que la pauvreté, la pandémie, l’inégalité, les services publics, l'innovation et le changement climatique nécessiteront d’un Etat grand et fort. Il semble très improbable que ces problèmes puissent être résolus sans une augmentation significative des dépenses publiques, ce qui ne fera qu'aggraver la situation économique.

Le Brésil cherchera à se réaffirmer sur la scène internationale, dans les forums multilatéraux, dont la Genève Internationale, mais le pays montre déjà des signes de recul concernant son adhésion à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En rejoignant le club des pays riches, le pays pourrait perdre son rôle officieux en tant que l'un des leaders du Sud global.

A 77 ans, Lula semble plus concentré sur son héritage (voir l'ex-président sud-africain Nelson Mandela) et sa réputation de combattant contre la pauvreté, la faim et les inégalités que sur des débats idéologiques. Le ministre des Finances, Fernando Haddad, est considéré comme l'héritier présomptif de Lula, malgré des grognes des marchés compte tenu de son manque d'expérience en matière économique. Il est rejoint par le vice-président, Geraldo Alkmin, et la ministre Simone Tebet en tant que candidats probables à la présidence en 2026. Parmi les autres acteurs importants du cabinet, citons la ministre de la Santé, Nísia Trindade, bien connue à Genève et à l'OMS pour avoir coordonné le transfert de technologie pour la production du vaccin Covid.

Les investisseurs étrangers suivront la gestion des sociétés publiques cotées en Bourse (Petrobras et Banco do Brasil) ainsi que la coordination interministérielle, en particulier entre les ministères des Finances, de la Santé et du Développement social, considérés comme le cœur battant du gouvernement.

La lune de miel des cent premiers jours du gouvernement a été interrompue le 8 janvier, mais on suppose que l'énorme bureaucratie gouvernementale est à pied d'œuvre pour produire un plan d'action global. Dans l'une des plus grandes démocraties du monde, et sous le poids d'une longue liste de priorités déclarées, de promesses de campagne présidentielle et de l'impatience croissante du Congrès, les Brésiliens, les marchés et le monde regardent anxieusement le calendrier.