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Arctique: la place de la Suisse

Cette année pourrait permettre d’intégrer le Conseil de l’Arctique, mais rien n’est joué. Le cas de l’UE doit d’abord être résolu.

Damien Degeorges
Spécialiste des pays nordiques
11 janvier 2017, 21h19
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L’Arctique. Une région dont on parle peu à Genève, qui abrite pourtant nombre d’organisations ayant de près ou de loin un lien avec cette zone reliant l’Amérique, l’Europe et l’Asie.   

Du fait du changement climatique et de la diminution en été de la banquise, les routes maritimes arctiques font de cette région un accélérateur de la mondialisation, de par une réduction des distances. Symboliquement toutefois, puisque le nombre de transits annuels est infinitésimal comparé aux routes traditionnelles du trafic maritime mondial.

Néanmoins, si l’intérêt est marqué notamment du côté asiatique, c’est que ces routes du Grand Nord présentent l’atout stratégique non négligeable d’apparaître comme un itinéraire secondaire utile à prévoir en cas de blocage en mer de Chine méridionale.   

Si la recherche liée au changement climatique a de longue date justifié l’intérêt de pays non-arctiques pour cette région, la liste des raisons s’est allongée depuis une dizaine d’années: accès facilité à un potentiel considérable en ressources naturelles (hydrocarbures, minerais, ressources halieutiques, eau douce, etc.), projets de câbles sous-marins, pour ne citer que quelques exemples.

Cependant, le développement économique dans la zone se heurte à deux défis majeurs: les conditions d’exploitation pouvant être parfois extrêmes sur le plan climatique et, surtout, un risque environnemental parmi les plus élevés au monde. Une certaine prise de conscience des acteurs économiques sur la nécessité de prendre en compte les enjeux de responsabilité sociale des entreprises et de réussir un développement économique durable dans la région a vu le jour face au risque important de réputation des entreprises.   

Sur le plan énergétique, en une dizaine d’années, l’intérêt s’est focalisé sur les hydrocarbures, puis sur les minerais, avant que l’emphase ne soit portée sur les énergies renouvelables, dans un contexte de transition énergétique mais aussi du fait de l’enjeu de la sécurité énergétique.

Parmi les autres secteurs en développement, il est à noter que le tourisme, particulièrement sur le segment haut de gamme, est en pleine expansion, comme le démontre l’Islande. Qu’il s’agisse de trafic maritime, d’exploitation de ressources ou de tourisme, l’enjeu des infrastructures reste cependant la clé des ambitions dans l’Arctique.

Qui dit infrastructure dit financement, ce que des acteurs non-régionaux comme la Chine ont bien compris. La région est devenue un cas d’école de l’impact du changement climatique sur les relations internationales.

L’ensemble des acteurs du G7/G8 est désormais présent, à différents niveaux, au sein du Conseil de l’Arctique, forum intergouvernemental de haut niveau crée en 1996 et que la Suisse souhaite intégrer en tant qu’observateur permanent.

En 2013, alors qu’il ne comptait que des observateurs issus d’Europe, le Conseil de l’Arctique a accordé ce statut à cinq pays asiatiques, et non des moindres, ainsi qu’à l’Italie. La Chine et l’Inde font désormais partie de ce «club» devenu avec le temps un mini G20.

La Suisse n’est pas la seule à faire la queue pour entrer dans ce qui est devenu un forum régional à dimension mondiale. La patience est de mise car ce n’est que tous les deux ans, lors des réunions ministérielles concluant chaque présidence tournante entre les huit Etats arctiques (Canada, Danemark via le Groenland, Etats-Unis, Finlande, Islande, Norvège, Russie, Suède), que ces derniers statuent, ou pas, sur les dossiers en cours.

Or, en deux ans, des événements ayant un impact sur une candidature ont le temps de voir le jour. Ainsi, après le règlement d’un différent entre le Canada et l’Union européenne qui avait empêché l’UE de devenir observateur permanent en 2013, bien que sa candidature ait été reçue «affirmativement» dans l’attente d’une «décision finale», c’est la Russie qui a douché en 2015 les espoirs européens de voir cette candidature pleinement validée, suite aux sanctions européennes liées à la crise ukrainienne.

Qu’en sera-t-il en mai prochain à Fairbanks, en Alaska, lorsque la présidence américaine du Conseil de l’Arctique s’achèvera?

Tant que le cas de l’Union européenne n’aura pas été résolu, les autres candidatures, dont celle de la Suisse, semblent vouées à rester dans la file d’attente. Cela n’empêche pas cependant de montrer un intérêt pour la région arctique, ce que ne manque pas de faire la Suisse, tant au niveau fédéral, par le biais entre autres du Département fédéral des affaires étrangères, que de la communauté scientifique notamment.

Un Institut polaire suisse, basé à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, a même vu le jour en 2016. Davos accueillera quant à elle, en juin 2018, une conférence internationale ayant trait à l’Arctique et à l’Antarctique.

Si l’on additionne l’intérêt au niveau fédéral et au sein d’organisations internationales ou non-gouvernementales présentes au bord du lac Léman (outre le Forum économique mondial et l’Organisation météorologique mondiale, pour n’en citer que quelques-unes, on notera que la Commission économique des Nations Unies pour l’Europe, la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et l’Union internationale pour la conservation de la nature ont, depuis près de vingt ans, un statut d’observateur au Conseil de l’Arctique), la Suisse a de quoi se positionner sur ce sujet et Genève une légitimité évidente pour accueillir des conférences sur cette région laboratoire des enjeux du XXIe siècle. Ne serait-ce que sur le défi de préserver un équilibre sécuritaire régional face aux défis du changement climatique, l’Arctique vaudrait la peine d’être davantage observée depuis Genève.

Une chose est sûre: si Singapour, dont le climat est plus tropical que polaire, est capable de s’intéresser à cette région, Genève l’est certainement.