Le Conseil fédéral n’en veut pas. Les parlementaires non plus. Après neuf mois de discussions, il a été définitivement enterré mercredi lors du débat au Conseil des Etats. Le projet, qui prévoyait que les locataires commerciaux ne s’acquittent que de 40% de leur loyer durant les fermetures de ce printemps décidées par le gouvernement, a été coulé par le centre et la droite.
«C’est un choix purement politique de ne pas soutenir les commerçants», a déploré, lors du débat, le conseiller aux Etats socialiste, Carlo Sommaruga, également président de l’Asloca. Pour le Genevois, encadrer, dans une loi nationale, les réductions des loyers commerciaux aurait permis d’éviter de longues procédures juridiques entre bailleurs et locataires. «Les locataires ont désormais cinq ans pour agir en justice», a-t-il ajouté.
A ses yeux, il fallait une règle unifiée à l’échelle du pays. A l’heure actuelle, une dizaine de cantons ont adopté une solution ou sont en train de le faire. Tous les cantons romands ont légiféré, à l’exception du Valais et de Berne. Vaud a par exemple débloqué 20 millions de francs pour pallier l’absence de soutien fédéral.
Les dispositifs adoptés par les cantons ne sont toutefois pas contraignants, ce qui signifie que le propriétaire doit volontairement renoncer à une partie de son loyer pour que l’aide publique entre en force. Certaines villes, comme Bienne, proposent aussi des baisses de loyers.
Près de quatre milliards de pertes
Carlo Sommaruga évalue à 3,7 milliards de francs la perte de chiffre d’affaires entraînée par les fermetures des commerces en mars et avril. «C’est 15% de moins pour les commerçants. Les pertes locatives liées au projet de loi sont, elles, estimées à 212 millions, soit 2% de l'encaissement annuel des bailleurs», a-t-il plaidé en vain.
Pour la majorité des sénateurs, pas question d’interférer dans des relations relevant du droit privé. «Il faut privilégier des solutions à l'amiable. Les bailleurs n'ont aucun intérêt à perdre des locataires durant cette période difficile», a souligné la démocrate-chrétienne, Brigitte Häberli-Koller, aussi membre du comité directeur de l’Association suisse des propriétaires (HEV Suisse).
L’Association immobilier suisse (AIS) partage cet avis. «Lorsque le marché a de bonnes solutions à offrir, une réglementation gouvernementale n’est pas efficace. Actuellement, parmi les membres de l’AIS, la part d’accords conclus entre les locataires et les propriétaires se situe autour des 75%», écrit-elle dans sa lettre de session.
«Une décision démoralisante»
«J'entends bien qu'on s'introduit dans du droit privé. Nous sommes toutefois dans une situation exceptionnelle. L'État a pris des mesures extrêmement intrusives, y compris sur la liberté économique. Et je regrette que notre Parlement qui a brassé beaucoup d'air dans ce dossier chaotique ne parvienne pas à faire quelque chose de cet air», a regretté l’élue verte, Lisa Mazzone.
«Cette décision démoralise les entrepreneurs, les commerçants, ceux qui au final vivent de leur travail et tentent de faire en sorte que notre économie survive tant bien que mal à cette crise du coronavirus», a conclu le socialiste, Christian Levrat.