La bonne humeur matinale a été de courte durée. Avant leur entretien, les deux présidents s'étaient présentés positifs devant les médias, louant les relations étroites entre l'Union européenne et la Suisse et soulignant l'importance de maintenir de bons contacts.
Berne veut un texte équilibré
Le ton a été tout autre dans l'après-midi. Chacun semble camper sur ses positions et attendre que l'autre fasse le premier pas. «Les divergences qui subsistent entre nos positions sont importantes», a concédé Guy Parmelin lors d'un point de presse à la mission suisse à Bruxelles.
Interrogé sur les exigences de Berne, il a quelque peu botté en touche. «On veut avoir un accord que le Conseil fédéral puisse défendre devant le Parlement, les cantons et le peuple.»
Le président de la Confédération a encore précisé attendre un texte équilibré. La Suisse a fait un pas sur la reprise dynamique du droit européen. C'est au tour de l'Union européenne de faire de même.
Berne a toujours dit qu'elle souhaitait consolider et développer ses relations bilatérales avec l'Union européenne, a-t-il rappelé. Mais elle ne signera pas le projet d'accord-cadre sans des progrès sur les points en suspens, à savoir la protection des salaires, les aides d'Etat et la directive sur la citoyenneté européenne qui élargit l'accès aux prestations sociales.
Bonne volonté demandée
Ces derniers mois, les négociatrices en chef Stéphanie Riso et Livia Leu ont mené des discussions intenses sur ces trois points, a précisé le conseiller fédéral. Ces discussions n'étaient «pas faciles», mais elles ont été menées avec «beaucoup d'engagement».
La Suisse a fait des propositions concrètes. Les progrès escomptés n'ont toutefois pas pu être atteints, a-t-il pointé. Bruxelles indique également avoir fait des propositions. Retirer les trois points litigieux de l'accord-cadre et les traiter séparément est cependant «inacceptable», a tranché Eric Mamer, le porte-parole en chef de la Commission européenne, lors de son point de presse quotidien.
«Nous comprenons que la Suisse puisse avoir des inquiétudes», a-t-il poursuivi. «Mais ce n'est pas une raison d'arrêter les négociations. Des solutions peuvent être trouvées avec de la bonne volonté. Nous restons à disposition pour poursuivre les négociations.» Et d'ajouter: «Notre porte est toujours ouverte.»
La discussion avec Ursula von der Leyen, qui a duré environ 1h30, a été «intense». Elle a permis de tirer un bilan au niveau politique et faire un état des lieux des positions de chacun, ont précisé les deux parties. Ce n'était en revanche pas une séance de négociation. «Nous ne sommes pas entrés dans les détails des points ouverts», a souligné Guy Parmelin.
Avenir encore incertain
Les prochaines étapes sont encore floues. Il faut analyser le résultat de cette rencontre, aussi bien du côté helvétique qu'européen, a précisé le Vaudois. Le Conseil fédéral a déjà été brièvement informé de la teneur des échanges. Les autorités cantonales et les partenaires sociaux doivent encore être consultés avant qu'il prenne une décision.
Les négociatrices suisse et européenne restent quant à elles en contact. Aucune réunion n'a encore été agendée pour le moment.
Déclaration du #présidentCH @ParmelinG suite à la rencontre avec la présidente de la Commission européenne @vonderleyen. #SwissEUrelations (BK) pic.twitter.com/TlasbzIAu8
— André Simonazzi (@BR_Sprecher) April 23, 2021
Peu avant la rencontre bilatérale sur l'accord-cadre vendredi à Bruxelles, Guy Parmelin et Ursula von der Leyen s'étaient montrés positifs devant les médias. Tous deux ont rappelé l'importance de bonnes relations entre l'Union européenne et la Suisse.
«Dans les négociations, les derniers mètres sont les plus difficiles», a reconnu la présidente de la Commission européenne. «Je crois qu'il est possible de faire des compromis. Il faut juste une dose de flexibilité de chaque côté.»
«L'accord-cadre est un élément essentiel de notre relation», a encore rappelé Ursula von der Leyen. «La Suisse et l'Union européenne sont plus que de simples voisins.» Les deux pays entretiennent des relations fortes grâce à leur proximité géographique, mais aussi aux relations étroites de leurs citoyens.
Il faut juste une dose de flexibilité de chaque côté
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne.
Le président de la Confédération a également salué des relations «précieuses, intenses, privilégiées, qui vont bien au-delà des simples liens économiques». Tout doit être mis en oeuvre pour les maintenir et les consolider, «surtout dans les temps difficiles que nous connaissons actuellement».
Cadre stable, complet et cohérent
«L'accord permettra de fixer un cadre stable, complet et cohérent pour de bonnes relations», a continué Ursula von der Leyen. «Un cadre homogène garantit des conditions de concurrence équitable et nous permet de consolider nos relations mutuelles.»
Les négociations se sont officiellement achevées fin 2018. Mais la Suisse a souhaité des clarifications sur trois points: la protection des salaires, les aides d'Etat et la directive sur la citoyenneté européenne qui élargit l'accès aux prestations sociales.
Relations égratignées
Les relations entre la Suisse et l'Union européenne semblaient quelque peu égratignées ces derniers temps. Dans une note interne, qui a fuité dans les médias vendredi passé, la Commission européenne critiquait vivement la position du Conseil fédéral.
La Suisse s'est éloignée de plus en plus du compromis trouvé et elle n'a pas exprimé clairement sa volonté, selon le document. Il n'y aurait eu aucun progrès ni sur le processus ni sur le fond. La Commission regrette également ne pas avoir reçu de réponse à ses propositions sur les trois questions en suspens.

Développer une solution
Berne a annoncé la semaine passée envoyer Guy Parmelin à Bruxelles. Aucune information n'a été donnée sur son mandat.
Dans la presse dominicale, le ministre de l'économie a seulement assuré ne pas vouloir "jouer les Boris Johnson". Et de préciser que la situation helvétique n'est pas comparable avec le Brexit, car la Suisse ne veut pas "sortir d'un accord, mais trouver une solution pour le développer".
Note sévère envers le Conseil fédéral
Dans une note interne, qui a fuité dans les médias vendredi passé, la Commission européenne critiquait vivement la position du Conseil fédéral.
La Suisse s'est éloignée de plus en plus du compromis trouvé et elle n'a pas exprimé clairement sa volonté, selon le document. Il n'y aurait eu aucun progrès ni sur le processus ni sur le fond. La Commission regrette également ne pas avoir reçu de réponse à ses propositions sur les trois questions en suspens.
Berne doit continuer à discuter avec Bruxelles, estime Juncker
Le dialogue doit se poursuivre entre la Suisse et l'UE, estime l'ex-président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, peu avant une réunion entre sa successeure Ursula von der Leyen et le président de la Confédération Guy Parmelin. Un accord est "nécessaire".
Le débat sur la rupture des négociations n'existe pas dans l'UE, indique M. Juncker dans un entretien diffusé vendredi par les journaux alémaniques du groupe de presse Tamedia. "La Commission européenne ne quitte jamais la table des négociations". Si la Suisse devait rompre les discussions, il serait très déçu, ajoute-t-il.
L'ancien premier ministre luxembourgeois appelle à conclure le plus rapidement possible l'accord-cadre pour éviter de nouvelles réactions européennes, comme la non-prolongation de l'équivalence boursière à la mi-2019. "Ce n'est pas souhaitable".
Deux parties perdantes
"On ne peut pas soumettre l'UE à un test de patience sans fin", remarque l'ex-président de la commission. Il s'oppose cependant à l'idée que la Suisse obtienne des concessions en échange de contributions financières plus élevées. "Penser que l'on peut résoudre ces problèmes avec de l'argent est une idée fausse".
Si l'UE et la Suisse ne parviennent pas à réorganiser leurs relations, ce sera au détriment des deux parties, estime M. Juncker. Un accord est indispensable, poursuit-il, soulignant que les problèmes peuvent être résolus.
Jean-Claude Juncker, 66 ans, a été président de la Commission européenne de 2014 à 2019. (AWP)
Accord-cadre: des années de négociations difficiles
La Suisse et l'Union européenne (UE) ont entamé en 2014 les négociations sur un accord-cadre censé chapeauter les quelque 120 accords bilatéraux qui les lient. Les discussions se sont déroulées dans la douleur.
18 mars 2002: La commission de politique extérieure du Conseil des Etats évoque la possibilité de regrouper les accords bilatéraux sous la forme d'un accord-cadre.
18 septembre 2008: Le Parlement charge le Conseil fédéral d'entamer des négociations avec l'UE. Le Conseil des ministres de l'UE salue cette décision, mais critique la règle qui oblige toute entreprise européenne voulant travailler en Suisse à s'annoncer huit jours à l'avance. Il y voit une entorse à la libre circulation des personnes.
20 décembre 2012: Le Conseil européen décide de faire dépendre la conclusion de nouveaux accords sur l'accès au marché unique d'une solution sur les questions institutionnelles.
18 décembre 2013: Le Conseil fédéral approuve son mandat de négociation. Il exclut une reprise automatique du droit européen et fait des mesures d'accompagnement une "ligne rouge" à ne pas franchir.
9 février 2014: Le peuple suisse approuve l'initiative "contre l'immigration de masse". Trois jours plus tard, les ambassadeurs de l'UE retirent de leur agenda le mandat de négociation sur un accord-cadre.
6 mai 2014: Le Conseil des ministres de l'UE approuve le mandat de négociation et exige que soit résolu le problème de la libre circulation des personnes. Les négociations débutent le 22 mai. La reprise automatique du droit et la résolution des conflits sont vivement discutées.
16 décembre 2016: Les Chambres fédérales approuvent la "préférence indigène light", qui permet une mise en oeuvre satisfaisante pour l'UE de l'initiative "contre l'immigration de masse".
6 avril 2017: Visite de Doris Leuthard à Bruxelles. La présidente de la Confédération et celui de la Commission européenne Jean-Claude Juncker se mettent d'accord pour débloquer les négociations.
23 novembre 2017: Jean-Claude Juncker propose la mise en place d'un tribunal arbitral pour régler les différends. Le Conseil fédéral promet lui un nouveau "milliard de cohésion" pour les pays pauvres de l'UE.
18 décembre 2017: La Commission européenne limite à un an la reconnaissance par l'UE de l'équivalence de la Bourse suisse. Une prolongation dépendra de progrès sur l'accord-cadre. Furieux, le Conseil fédéral décide de réétudier sa promesse d'un nouveau "milliard de cohésion".
2 mars 2018: Le Conseil fédéral accepte l'idée d'un tribunal arbitral, mais pas question de toucher aux mesures d'accompagnement.
8 juin 2018: Le Conseil fédéral menace de prendre des mesures de rétorsion si l'UE ne prolonge pas l'équivalence boursière. Il pourrait refuser aux banques et négociants européens le droit de continuer à négocier des actions suisses.
2 juillet 2018: L'économie se prononce majoritairement en faveur d'un accord-cadre.
7 décembre 2018: La Suisse et l'UE se mettent d'accord. Deux questions restent en suspens: les mesures d'accompagnement et la directive sur la citoyenneté de l'UE, qui élargit l'accès aux prestations sociales. Le Conseil fédéral décide malgré tout de publier le texte et de le mettre en consultation.
17 décembre 2018: Bruxelles prolonge de six mois l'équivalence boursière.
Février/mars 2019: Les groupes parlementaires libéral-radical et vert'libéral soutiennent l'accord-cadre. L'Union syndicale suisse (USS) le rejette, jugeant que les mesures d'accompagnement et la protection des salaires ne sont pas négociables.
7 juin 2019: A l'issue de la consultation nationale, le Conseil fédéral maintient son "appréciation globalement positive". Mais il veut demander des précisions à Bruxelles sur les aides d'Etat, la protection des salaires et la directive sur la citoyenneté européenne.
11 juin 2019: Jean-Claude Juncker se dit prêt à discuter, mais refuse une renégociation. Il estime que ces clarifications doivent durer quelques jours.
18 juin 2019: Bruxelles constate un "manque de progrès" et décide de ne pas prolonger l'équivalence boursière. En représailles, Berne interdit le commerce des actions suisses sur les places européennes.
3 décembre 2019: Les Chambres fédérales approuvent le "milliard de cohésion". Les fonds ne seront toutefois débloqués que lorsque l'équivalence de la Bourse suisse aura été rétablie.
2020: Les négociations sont bloquées jusqu'à la votation du 27 septembre sur l'initiative de l'UDC "pour une immigration modérée". Après le rejet du texte, Bruxelles dit attendre une signature "rapide" du projet d'accord-cadre. En novembre, le Conseil fédéral assure avoir défini sa position sur les trois points encore ouverts.
Début 2021: Pressions sur le Conseil fédéral. Economiesuisse et l'Union patronale suisse appellent à une "clarification rapide" des questions en suspens. Un groupe parlementaire se forme pour aider le gouvernement dans ses efforts.
Février/mars 2021: La nouvelle secrétaire d'Etat Livia Leu se rend toutes les deux semaines à Bruxelles pour des discussions.
3 mars 2021: Médecins, hôpitaux, défenseurs des patients et représentants des entreprises actives dans le domaine de la santé craignent que la lenteur des négociations ne péjore les importations et exportations de produits médicaux.
20 avril 2021: Selon le procès-verbal d'une réunion entre la négociatrice européenne Stéphanie Riso et les ambassadeurs des 27, l'UE estime que c'est à la Suisse de donner l'impulsion. Elle considère Berne comme responsable d'un éventuel échec de l'accord-cadre.
22 avril 2021: Le président de la Confédération Guy Parmelin rencontre la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. (ATS)
La protection des salaires reste essentielle pour les syndicats
Le Conseil fédéral doit faire imposer une protection indépendante des salaires dans l'accord-cadre avec l'UE, a déclaré vendredi l'Union syndicale suisse (USS). Sans mesures d'accompagnement dans leur forme actuelle, il existe une menace de pression massive sur les salaires et les conditions de travail en Suisse. Travail.Suisse s'est pour sa part réjouie que le président de la Confédération ait défendu la protection des salaires auprès de la Commission européenne. L'organisation syndicale ne soutiendrait pas un accord qui se fait au détriment des salariés. Il doit être clair pour l'UE que les mesures d'accompagnement suisses ne sont pas discriminatoires à l'égard des entreprises de l'UE, a ajouté le syndicat. Il appelle le Conseil fédéral à tenir sa ligne rouge. «Les accords bilatéraux doivent profiter aux salariés – en Suisse comme dans toute l'Europe», estime l'USS, pour qui cela passe par une protection salariale efficace et un service public garanti. L'USS va continuer de collaborer avec ses organisations soeurs européennes pour que la protection salariale soit améliorée dans toute l'Europe et que le service public ne soit pas sacrifié à la logique du marché. (ATS)
«Prendre en considération les propositions de compromis»
Il est grand temps que le Conseil fédéral prenne en considération les propositions de compromis de l'Union européenne et qu'il signe l'accord institutionnel, a plaidé vendredi le Nouveau mouvement européen Suisse (Nomes). Il s'agit d'un accord-clé pour l'avenir de la Suisse. «La conclusion de l'accord institutionnel n'est qu'une étape. Elle permet toutefois de sécuriser la voie bilatérale et d'assurer la poursuite de l'intégration européenne de notre pays», a souligné Eric Nussbaumer, le président du Nomes, dans un communiqué diffusé à l'issue de la visite du président de la Confédération Guy Parmelin à Bruxelles. L'accord institutionnel permet de garantir l'accès au marché commun européen. II ouvre aussi la voie à de nouveaux accords et à une intégration renforcée, a encore relevé le Nomes. (AWP)