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«Si les mesures sanitaires étaient respectées par tous, nous pourrions aborder la saison d’hiver avec une grande sérénité»

Le conseiller fédéral Alain Berset en appelle à la responsabilité individuelle pour contenir la deuxième vague de coronavirus. Il n’est pas encore trop tard, rassure-t-il. Le ministre de la Santé veut agir tôt pour protéger l’économie et éviter un reconfinement. Entretien.

Selon Alain Berset, si la situation n’est plus maitrisée, la question de procéder à des fermetures se reposera, en premier lieu pour les cantons. (Keystone)
Selon Alain Berset, si la situation n’est plus maitrisée, la question de procéder à des fermetures se reposera, en premier lieu pour les cantons. (Keystone)
20 octobre 2020, 21h37
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Les entreprises s’inquiètent pour leurs affaires et pour l’emploi depuis l’annonce de nouvelles mesures dimanche par le Conseil fédéral pour lutter contre la pandémie de coronavirus. Les restaurants et les commerçants, notamment, redoutent un nouveau ralentissement de l’activité en raison du port du masque et du retour au télétravail pour nombre de leurs clients.Pourtant, même si le nombre de cas positifs a atteint 3008 mardi, tous les chiffres sanitaires ne sont pas alarmants. Entretien avec Alain Berset, le conseiller fédéral en charge de la santé.


L’Irlande vient d’annoncer six semaines de confinement, le Pays de Galles deux semaines. Risquons-nous le même sort?Difficile à dire, car les situations ne sont pas comparables. Mais nous voyons que plusieurs pays vivent avec quelques semaines d’avance la situation épidémiologique qui se développe maintenant chez nous. Chacun doit essayer de trouver les meilleures mesures pour garder le contrôle. Mais dans la gestion de crise, rien ne peut jamais être exclu.


Rien exclure, cela veut-il dire que vous avez comme scénario un semi-confinement par région, ou seulement des personnes à risque?Toutes les possibilités qui existent sont sur la table depuis le début. Nous attendons des cantons qu’ils prennent plus rapidement encore des mesures pour contrôler la situation sur leur propre territoire. Cela permet, en théorie, d’avoir des solutions différenciées qui tiennent compte des spécificités locales. Par exemple, certains cantons ou certaines villes ont beaucoup de boîtes de nuit, alors que d’autres n’en ont presque pas.Dans le même temps, nous avons pris dimanche une série de mesures de portée nationale, afin d’avoir l’image la plus claire possible sur l’ensemble du pays. Nous devons observer si cela permet de reprendre le contrôle. Mais il faut être très clair: la situation se dégrade de manière forte et inquiétante. Elle est très sérieuse. Et c’est le dernier moment pour le comprendre.


Du très sérieux dites-vous, mais regardons les chiffres de l’OFSP: une explosion du nombre de cas positifs certes, mais peu d’hospitalisations et encore moins de décès. A quel point la situation est-elle vraiment grave?Nous sommes dans la même dynamique qu’en mars, si ce n’est que nous avons beaucoup plus de cas positifs. Pourquoi? Parce que nous testons beaucoup plus. A combien les 3008 cas que nous avons eu mardi correspondraient si nous étions en mars? Personne ne peut le dire. Mais certainement pas autant. Peut-être 400 ou 500, je l’ignore. Par contre, nous savons avec certitude que les hospitalisations vont doubler avec la même régularité que les cas positifs. Dire que cette deuxième vague est juste une vague d’infections positives mais sans hospitalisations ni décès est une illusion. Malheureusement, les semaines qui viennent vont prouver le contraire. Il faut être très clair là-dessus.


Mais les chiffres ne montrent pas du tout une explosion du nombre de morts…Si on ne parvient pas à prendre les mesures adéquates, comme celles prises dimanche, les infections vont continuer de doubler rapidement. Il faut réaliser que les décisions qui se prennent maintenant visent à freiner les hospitalisations dans trois à quatre semaines. Revoyons-nous fin novembre pour en parler.C’est la raison pour laquelle nous devons reprendre le contrôle maintenant et ne pas attendre pour adapter nos comportements. Il n’existe pas de situation dans le monde où une forte augmentation de cas positifs n’ait donné lieu à une forte augmentation du nombre d’hospitalisations. Pourquoi cela serait-il différent chez nous?


Prenons le graphique qui montre les personnes les plus à risque. La mortalité concerne seulement les personnes très âgées. Le graphique des soins intensifs montre par ailleurs une situation encore très calme.Tout cela est juste. Et c’est exactement la difficulté à laquelle nous sommes confrontés. Nous observons une explosion du nombre de cas ainsi que de la positivité. Il s’agit d’une vraie flambée, qui nous place au début d’une deuxième vague. C’est une évidence. On sait que les infections réelles conduisent, dans une proportion qui n’a pas changé depuis le début de l’année, à des hospitalisations. Ces chiffres vont donc évoluer assez rapidement. L’été était plutôt tranquille. Mais au cours de ces quatre à six dernières semaines, les choses ont changé. Je ne dis pas qu’il faut avoir peur ou paniquer devant cette situation. Nous devons trouver le meilleur chemin pour notre pays. Et celui-ci dépend d’une condition essentielle: tout mettre en place pour éviter une surcharge de nos hôpitaux. Nous ne sommes pas en retard.


Vous mentionnez la peur, mais l’OFSP ne communique-t-il pas de manière anxiogène, en mettant d’abord en avant le chiffre quotidien d’infections? La peur affecte tout le climat économique, de consommation provoquant d’autres problèmes...Non, l’OFSP ne communique pas de manière anxiogène. La vraie question est celle de l’interprétation de nos chiffres. Regardez ce que nous publions depuis le début, y compris sur Internet. Nous avons toujours indiqué plusieurs critères. Ceux-ci doivent être corrélés pour être pertinents: le taux de positivité, le nombre de tests réalisés, le nombre de cas positifs, le nombre d’hospitalisations, le nombre de décès. Tout cela forme une image assez complète de la situation. Après, on peut difficilement intervenir sur la manière dont ces données vont être utilisées par les canaux qui les diffusent. Nous ne voulons rien cacher.


Pourtant, avec le Tweet quotidien de l’OFSP, le nombre de nouveaux cas est celui qui est mis en avant…Voulez-vous dire que nous devrions mettre les chiffres dans un autre ordre?


Cela donnerait plus de contexte.Mais non. Vous connaissez les médias mieux que moi. Si aujourd’hui, ce n’était pas le nombre de cas qui augmenterait fortement, mais celui des hospitalisations, toute l’attention se concentrerait sur ce chiffre. Nous publions nos données de manière très transparente. Les critères qui nous occupent le plus sont le nombre d’hospitalisations et celui des patients dans les unités de soins intensifs. Car là, nous risquons un problème de capacité.


Les hôpitaux n’ont-ils pas eu le temps depuis le mois de mars pour s’organiser puisque l’on savait que cette deuxième vague allait arriver à l’automne?Les hôpitaux ont fait un immense travail et je pense qu’ils sont prêts. Nous avons vu en mars qu’ils avaient une très forte capacité d’adaptation. Depuis ce printemps, nous avons tous beaucoup appris. Cela dit, leurs capacités ne sont pas infinies. En mars, nous avons dû suspendre les opérations électives, ce n’était confortable pour personne. Il appartient aux hôpitaux et aux cantons de trouver les meilleures solutions. C’est de leur responsabilité. J’ai constaté, en lisant la presse, que déjà deux cantons ont annoncé des problèmes de capacité, Schwytz et le Valais.Vous avez également mentionné la question économique, comment éviter les conséquences négatives des mesures. C’est exactement ce que l’on essaie de faire. Et ici, le timing est primordial. La situation peut devenir extrêmement délicate pour l’économie si les mesures permettant d’infléchir la courbe ne sont pas prises assez vite. Si l’on veut éviter des fermetures, il faut être maître de la situation. Vous citiez l’Irlande. Je ne crois pas que son gouvernement ait pris une telle mesure sans prendre en compte l’intérêt de ses entreprises. Ils ont sans doute considéré ne pas avoir d’autre alternative. Nous essayons d’agir tôt. Cela protègera à la fois la société et l’économie.


Les PME et les plus petites entreprises vont souffrir des nouvelles mesures. Que leur dire? Si la situation n’est plus maîtrisée, la question de procéder à des fermetures se reposera, en premier lieu pour les cantons. L’objectif est bien évidemment de l’éviter à tout prix, afin de ne pas revivre ce que nous avons vécu ce printemps. Or une mesure prise par le Conseil fédéral ou les cantons ne limitera pas la propagation du virus si la population n’agit pas.


Si les cantons ne parviennent plus à tracer les contaminations, peut-on s’attendre au retour du semi-confinement? La fermeture ne dépend pas uniquement du traçage mais aussi des hospitalisations. Aujourd’hui, nous avons un doublement des cas chaque semaine. Le taux de reproduction atteint 1.62, c’est nettement plus élevé que cet été. Concrètement, cela veut dire que 10 personnes en infectent 16 autres. Et c’est problématique.


Allez-vous à nouveau faire appel à l’armée? Cela dépend de la demande des cantons. C’est une possibilité. Quand on gère une crise, on ne doit rien exclure.


Raccourcir la durée de la quarantaine, un autre casse-tête pour les entreprises. Qu’en pensez-vous? Il y a une discussion sur la quarantaine des retours de voyage. Nous sommes à dix jours, d’autres pays l’ont fixée à 14 jours. Pas question toutefois de revoir la quarantaine pour les individus qui ont été en contact avec des personnes infectées. Après sept jours, le risque que la maladie se transmette encore est bien réel. En trois semaines, la Suisse a vu sa situation se dégrader au point d’être l’un des pays d’Europe le plus touché par la pandémie. Il y a trois semaines, nous étions encore l’un des moins affecté par la Covid-19.


Comment réduire les inégalités entre générations? La Covid touche les personnes âgées alors que les jeunes diplômés paient le prix fort de la crise…L’option de confiner uniquement les personnes à risque a été discutée en mars. Or, dans la pratique, cela ne fonctionne pas. Cette solution, pour être efficace, implique un enfermement strict des individus. Sans aucun contact. C’est inhumain et éthiquement indéfendable. Dans les homes, les interdictions de visites, pourtant beaucoup plus légères, ont été mal vécues.En outre, si l’âge est un facteur de risque évident, les plus jeunes sont aussi touchés par la maladie. Nous devons protéger les personnes qui sont les plus vulnérables. Pour des raisons éthiques également, le Conseil fédéral a écarté l’option de laisser circuler le virus, et cela dès le début de la pandémie. Enfin, le confinement n’a pas eu plus de succès à nos yeux. Nous faisons des arbitrages depuis le début de la pandémie.Je rappelle que nous n’avons jamais fermé l’économie. 70 à 80% des entreprises ont fonctionné même durant les mois de mars et avril. Nous avons d’ailleurs des prévisions de diminution du PIB deux fois moindre qu’ailleurs. Assez rapidement nous avons à nouveau ouvert les secteurs fermés.


Justement les pistes de ski ont été fermées en mars, pourra-t-on skier cet hiver?J’espère bien même si pour l’instant la situation n’est pas très bonne. En soi, le ski ne pose pas de problème. Celui-ci se situe plutôt dans les transports, dans les cantines et lors des après-ski. Actuellement, nous connaissons un développement négatif. Je ne suis donc pas sûr que les touristes étrangers voudront venir chez nous. Le changement sur le front du virus a été rapide.


Comment expliquer ce changement rapide?Il y a une dizaine de jours, le taux de positivité des tests a augmenté. Cette hausse est difficile à expliquer. Les épidémiologistes avancent plusieurs hypothèses comme le retour du froid et la multiplication de réunions à l’intérieur des bâtiments. Dans une pandémie, il y a aussi des effets de seuil, soit des moments durant lesquels la circulation du virus s’accélère. Sans que l’on puisse vraiment l’expliquer. D’autres pays observent le même phénomène, toutefois de manière un peu moins forte.La discipline s’est aussi relâchée. Or l’essentiel pour lutter contre cette pandémie réside dans le comportement des gens. Se serrer la main? Il vaut mieux l’éviter. Le faire par signe de défiance n’est franchement pas très malin. Le maintien de la distance, le port du masque lorsque cette distance ne peut pas être respectée et le lavage fréquent des mains sont des comportements simples à adopter. Si les mesures sanitaires étaient respectées par tous, nous pourrions aborder la saison d’hiver avec une grande sérénité.


Recevez-vous des pressions des pays voisins pour avoir des mesures plus strictes? Non, chacun s’occupe de son territoire. De manière générale, nous avons opté pour des mesures plus légères que les autres pays.


Terminons par la question du vaccin. La pandémie est globale, juste? Oui.


Pour être efficace, lorsqu’il sera prêt, l’an prochain, le vaccin devrait être distribué globalement. Et pourtant tous les pays, la Suisse comprise, sont engagés dans une lutte pour sécuriser leur propre stock de vaccins. Nous avons un des meilleurs systèmes de santé au monde. La Suisse ne devrait-elle pas renoncer au vaccin pour sa propre population au bénéfice des pays qui en ont le plus besoin, et ainsi vraiment contribuer à un effort mondial pour arrêter un virus qui passe d’un pays à l’autre?

Cette stratégie serait une erreur, tout comme de miser sur des vaccins destinés uniquement à notre population. Peut-être que cela ne se remarque pas assez, mais nous travaillons en parallèle sur deux voies. La première consister à assurer l’acquisition de vaccins pour notre population. C’est la moindre des choses que l’on peut attendre d’un gouvernement. Dans le même ordre d’idée, nous avons cet automne fortement augmenté les capacités du vaccin contre la grippe.La deuxième voie est notre très fort engagement sur le plan multilatéral pour garantir l’accès aux vaccins de manière globale. L’un n’exclut pas l’autre.Et franchement, comment pourrais-je expliquer à la population suisse que le Conseil fédéral renonce au vaccin? Je ne vois pas où vous voulez en venir.


Il s’agit de gouvernance mondiale. En 2009, pour faire face à la crise financière, les pays du G20 ont réussi à s’entendre et à coordonner leurs actions pour éviter ce qui aurait été une récession aussi grave que celle des années 1930. 2020, les Etats en sont incapables et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui pourrait jouer ce rôle de coordinateur est prise en otage par les tensions entre les Etats-Unis et la Chine. Renoncer aux vaccins pour un bien global aiderait à remettre de l’ordre dans cette gouvernance. J’ai de la peine à suivre votre analyse. En revanche, je partage la conviction que l’OMS devrait être beaucoup plus fortement soutenue. Les nombreuses coupes dans ses budgets marquent une très mauvaise évolution. C’est le contraire qui devrait se produire. Nous ferons le bilan à la fin de la crise. Mais soyons clairs: sans l’OMS, sans sa réaction rapide, sans sa mission en Chine pour comprendre la situation et sans la transmission de ses informations, qu’aurions-nous fait en février face à une crise dont on ne savait rien? Nous avons besoin du multilatéralisme et d’organisations internationales très fortes. La situation actuelle le démontre.