La campagne de l’initiative pour une treizième rente AVS, sur laquelle les citoyens s’exprimeront le 3 mars, peut donner l’impression d’une bataille de chiffres entre les initiants et leurs adversaires. En réalité, si un débat politique habituel a lieu sur la pertinence de cette proposition, il n’en demeure pas moins que tout le monde a accès aux mêmes chiffres. Seulement, la gauche et les syndicats, porteurs du texte, tordent les projections de la Confédération sur le financement de l’assurance vieillesse et survivants (AVS), ce qui fausse la discussion démocratique. L’Agefi a relevé quatre affirmations erronées ou incomplètes.
«Les prévisions [du Conseil fédéral sur le financement futur de l’AVS] ont systématiquement été trop pessimistes ou instrumentalisées.»
Pierre-Yves Maillard, conseiller aux Etats (PS/VD), conférence de presse des initiants du 7 janvier 2024
FAUX: Si une projection est par définition incertaine, en particulier quand autant de facteurs entrent en jeu (espérance de vie, fécondité, croissance du produit intérieur brut, taux d’activité, évolution des salaires, immigration…), les perspectives de l’Office fédéral des assurances sociales (Ofas) se sont avérées fiables depuis 2011. Le fait que les comptes du premier pilier aient été plus positifs que prévu à partir de 2020 est dû à la réforme fiscale pour financer l’AVS (RFFA), entrée en vigueur cette année-là, qui a permis de renflouer les caisses à hauteur de 2 milliards de francs par an. Le paquet de mesures AVS21, entré en vigueur le 1er janvier dernier, permet quant à lui à l’assurance de rester bénéficiaire jusqu’en 2030, selon les projections.
«Les chiffres montrent qu’il n’y a pas d’urgence à trouver de nouvelles sources de financement [pour l’AVS].»
Pierre-Yves Maillard, conseiller aux Etats (PS/VD), Le Temps, 2 février 2024
TROMPEUR: La notion d’urgence est subjective. Cependant, la tendance est claire: il y a de moins en moins d’actifs pour financer de plus en plus de rentes. Le rapport entre le nombre de cotisants à l’AVS et le nombre de bénéficiaires est passé de 3,5 en 1975 à 2,4 en 2021, selon l’Office fédéral de la statistique. Cela, parce que la fécondité stagne à environ 1,5 enfant par femme depuis 1980, tandis que l’espérance de vie augmente. Lors de l’introduction de l’AVS en 1948, les femmes de 65 ans vivaient encore 13 ans environ et les hommes de 65 ans 12 ans. Aujourd’hui, l’espérance de vie à cet âge-là est d’environ 22 ans pour les femmes et de 20 pour les hommes. Enfin, près d’un million de représentants de la génération du baby-boom arriveront à la retraite ces dix prochaines années. C’est pour ces raisons-là que, d’après l’Ofas, la pérennité financière de l’AVS n’est plus garantie à partir de 2030 si aucune réforme n’est effectuée, et dès 2026 déjà si une treizième rente est introduite.
«[L’introduction d’une 13e rente] coûterait environ 4,1 milliards [de francs]»
Léonore Porchet, conseillère nationale (Les Verts/VD), Le Temps, 6 février 2024
INCOMPLET: Cette somme est correcte, mais seulement pour l’année de l’introduction de la treizième rente. Ce montant serait supérieur dès l’année suivante, du fait de l’augmentation du nombre de retraités. Cinq ans après son introduction déjà, la treizième rente coûterait 5 milliards de francs par an, selon l’Ofas. En moyenne, elle coûterait 5,3 milliards de francs par an jusqu’en 2030. Dès 2027, le déficit annuel de l’AVS dépasserait un milliard de francs.
«Au cours des prochaines années, l’AVS enregistrera un excédent de près de 3 milliards de francs par an. D’ici à 2030, les réserves de l’AVS s’élèveront à presque 70 milliards de francs. Nous avons donc les moyens de cette réforme (ndlr: l’introduction d’une 13e rente).»
Léonore Porchet, conseillère nationale (Les Verts/VD), Le Temps, 6 février 2024
TROMPEUR: Les projections des deux premières phrases sont exactes, mais la conclusion qui en est tirée dans la troisième phrase est fausse. Les prévisions de l’Ofas que cite l’élue ne prennent pas en compte l’introduction d’une treizième rente AVS. De plus, le fonds de compensation AVS n’est pas une réserve dans laquelle on peut puiser à l’envi: la loi demande que ce capital corresponde à au moins une année de dépenses de rentes. Or, les 67,1 milliards attendus pour 2030 équivalent tout juste à cette exigence légale.