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Avions de combat: le milliard des contre-affaires aiguise l’appétit des PME romandes

Les entreprises romandes actives dans l’aéronautique tablent sur les contre-affaires liées à l'acquisition de nouveaux avions de combat pour développer leurs technologies et se diversifier, avec des emplois à la clé.

«Il s’agit d’une réflexion à avoir sur la production locale», déclare Jérôme Chanton. Keren Bisaz ©Suva
«Il s’agit d’une réflexion à avoir sur la production locale», déclare Jérôme Chanton. Keren Bisaz ©Suva
08 septembre 2020, 17h55
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Six milliards de francs. Les Suisses diront, dans un peu plus de deux semaines, s’ils accordent cette manne financière au Conseil fédéral pour lui permettre d’acquérir de nouveaux avions de combat. En cas de oui, le gouvernement choisira le nombre et le type d’appareils. Sa décision devra ensuite être validée par le Parlement. La mise en service des nouveaux avions est prévue pour 2030. Quatre jets sont en lice: le Rafale du français Dassault, l’Eurofighter de l’européen Airbus et les deux avions américains, le Super Hornet de Boeing et le F-35A de Lockheed-Martin. L’armée prévoit par ailleurs d’investir sept milliards de francs pour le renouvellement de ses systèmes terrestres et de conduite. Sans oublier l’acquisition d’un instrument de défense sol-air dont le coût ne devra pas dépasser les deux milliards de francs. Le Conseil fédéral décidera là aussi du modèle retenu. Pour financer ces investissements, le budget de l’armée devra être augmenté d’1,4% par an pour 2021 à 2024. Le gouvernement prévoit pour ces quatre années de consacrer 21,1 milliards de francs à la défense. L’Agefi est allé à la rencontre de trois PME romandes qui pourraient profiter des contre-affaires liées à l’acquisition potentielle des avions de combat.

Jean Gallay: des affaires à moyen terme, du travail à court terme

«Avec la crise du Covid, nous souffrons. Un oui à l’acquisition de nouveaux avions de combat nous donnerait une bouffée d’oxygène», déclare Nicolas Lavarini, CEO de Jean Gallay. Le fabricant de pièces pour les moteurs d’avions a vu son chiffre d’affaires chuter, suite à la pandémie. «Cette année, nous ne réaliserons pas nos objectifs. Le coronavirus a porté un coup d’arrêt à notre activité», déplore le directeur général. En cas d’acceptation le 27 septembre, le patron table sur des retombées économiques positives à l’horizon 2022 voire 2023. Avant cette date, le groupe genevois devra accomplir un important travail de chiffrage et de devis pour obtenir les nouveaux contrats en lien avec les «offsets». Sur le plan technologique, les affaires compensatoires jouent un rôle essentiel. Nicolas Lavarini en est persuadé: «ces affaires nous maintiennent à la pointe de l’innovation. Elles génèrent de nouveaux clients, de nouvelles qualifications et au final de nouvelles places de travail». Fondé en 1898, Jean Gallay emploie 200 collaborateurs. Ce sont les affaires compensatoires qui lui ont permis de se diversifier. Tout d’abord dans l’aéronautique militaire dans les années soixante. Puis en 1993 grâce au F/A18, qui a été un tremplin vers l’aéronautique civile. Nicolas Lavarini ne peut pas encore chiffrer précisément les retombées économiques des affaires compensatoires. Tout dépendra du nombre et du montant des contrats obtenus. Suite à l’acceptation des F/A 18, il a toutefois vu son chiffre d’affaires augmenter de 15% entre 1993 et 1996. Il table sur une hausse dans le même ordre de grandeur pour les nouveaux avions de combat à moyen terme. Et en cas de refus le 27 septembre? L’existence de Jean Gallay ne sera pas en péril. «Un non rendra toutefois notre situation encore plus difficile», avertit son responsable.

Kugler Bimetal: «Maintenir une industrie en Suisse»

«Notre stratégie? Profiter des affaires compensatoires pour développer notre business en dehors du domaine militaire et aéronautique», explique Jérôme Chanton, directeur de Kugler Bimetal. La firme genevoise conçoit des pièces anti-frottement pour une multitude de secteurs dont l’énergie et les machines de chantier en passant par le ferroviaire et les mines. Elle compte soixante employés. Egalement active dans l’aéronautique, la PME n’a jamais réalisé d’affaires compensatoires. «Ces dernières nous permettent toutefois d’accéder aux grands constructeurs et de nous faire connaître dans le but de conclure de nouveaux contrats», précise le patron. A ses yeux, un oui le 27 septembre permet aussi garder le savoir-faire industriel en Suisse notamment dans le travail du métal. «Il s’agit au final d’une réflexion à avoir sur la production locale. Avec le Covid, nous nous sommes rendus compte que la majorité des masques étaient produits en Chine. Ce virus a démontré notre dépendance aux autres», fait remarquer le dirigeant. Jérôme Chanton considère enfin que la Suisse a tout à gagner des affaires compensatoires. «Affirmer que ces ‘offsets’ sont trop chers car liés à des producteurs helvétiques s’avère totalement faux. Nous sommes une industrie compétitive puisque nous exportons quasiment la totalité de notre production. Si nous étions trop chers, nous n’exporterions plus et n’existerions plus», martèle-t-il.

Apco Technologies: «Le pied à l’étrier vers un nouveau marché»

Pour Aude Pugin, il ne faut pas prendre le problème à l’envers. «La vraie raison de plébisciter ces avions de combats, c’est leur nécessité pour notre sécurité aérienne. Déléguer cette compétence à une puissance étrangère me semble un scénario peu réaliste», affirme la CEO d’Apco Technologies. Selon cette ancienne avocate qui dirige la firme familiale d’Aigle, l’impact économique des affaires compensatoires serait plutôt une «cerise sur le gâteau». Un bonus bienvenu à l'heure où l'industrie suisse souffre  «énormément» de la crise liée au Covid-19. «Cela fait tellement longtemps qu’on repousse cette dépense, autant la faire maintenant vu son effet collatéral de plan de relance pour l’industrie», argue la Vaudoise. Depuis sa création en 1992, Apco Technologies n’a jamais bénéficié d’affaires compensatoires. Pour l’entreprise qui compte 350 employés, les jets militaires représenteraient un nouveau marché. Aude Pugin y voit l’opportunité d’œuvrer enfin pour son propre pays «puisque 100% de nos équipements mécaniques et électromécaniques destinés au spatial et à l’énergie sont exportés.» L’occasion non seulement de capitaliser sur les compétences de pointe que la firme a déjà développées dans le domaine spatial, mais aussi d’en acquérir de nouvelles dans l’aérospatial, un secteur à haute valeur ajoutée. «A côté des avions de combats eux-mêmes, ce projet élargirait notre clientèle. Ces nouvelles relations commerciales, dans la défense mais aussi dans le domaine civil, aurait un impact qui dépasserait largement le cadre d’Air2030», poursuit la CEO. En sus des 12.000 mètres carrés d’atelier, il faudrait sans doute construire une halle industrielle de plus. «Et il y aurait des emplois à la clé», renchérit-elle. Apco Technologies discute avec les différents consortiums industriels aéronautiques depuis deux ans déjà. La CEO explique: «Nous avons investi pas mal de temps à préparer des offres que les avionneurs pourront soumettre à leur tour à Armasuisse.» L’entreprise est-elle pour autant certaine de se voir attribuer des affaires compensatoires au cas où les Suisses votent oui? «Non, bien entendu. Rien n’est figé d’avance pour nous. Il y aura une vraie compétition mais nous avons de bons espoirs», répond la dirigeante. Celle qui est également présidente de la Chambre vaudoise du commerce et de l'industrie (CVCI) depuis 2018 précise aussi que ce système d’affaires compensatoires n’est de loin pas une spécificité suisse: «Quasiment tous les Etats pratiquent cette politique dans leurs achats d’articles de défense. C’est dans l’intérêt de notre pays de choisir cette voie.» Avec la collaboration de Sophie Marenne.

Affaires compensatoires: mode d’emploi

En cas de oui aux nouveaux avions de combat, le constructeur qui livrera les appareils devra octroyer des mandats en Suisse pour un montant correspondant à 60% du prix d’achat. Ce sont les affaires dites compensatoires ou contre-affaires ou encore «offsets». Cette politique protectionniste a pour but de renforcer l’industrie helvétique et de lui permettre d’accéder aux technologies de pointe. L’acquisition des avions ne devra pas dépasser les six milliards de francs. Les industriels suisses recevront donc 3,6 milliards. Les affaires compensatoires sont réparties comme suit: 65% outre-Sarine, 30% sur sol romand et 5% au Tessin. C’est en effet de l’autre côté de la barrière de Rösti que l’on retrouve le plus grand nombre d’entreprises actives dans la défense, dont des géants comme Ruag, Thalès et Rheinmetall. La Romandie ne compte pas de fabricants d’armes mais une soixantaine de sous-traitants, majoritairement des PME. La Suisse ne dispose pas d’indicateurs sur le nombre d’emplois de la branche ni sur son chiffre d’affaires global. Le nombre d'employés du secteur est toutefois estimé à environ 15.000.