22 septembre 2020, 21h48
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La majorité des trente-huit projets de vaccin contre la Covid référencés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) proviennent des centres académiques. Quelques candidats sont en collaboration avec des pharmas et 16 sont des biotech, seules ou à travers des alliances.
«Selon toute probabilité, la big pharma est en pôle position de cette course effrénée au vaccin anti-Covid 19. Un vaccin est déjà en plein développement contre ce virus connu, simple avec peu de gènes et peu de protéines. Il suffit simplement aux cinq ou six projets les plus avancés de terminer la course», explique à L’Agefi, Francesco De Rubertis, cofondateur de Medicxi, société d’investissement internationale spécialisée dans les sciences de la vie, basée à Genève, Londres et Jersey. Et le docteur en biologie moléculaire, qui siège au Conseil de l’Université de Genève, de clarifier le rôle que peut jouer l’innovation dans la course aux vaccins et celui des fonds privés: «Ce créneau dominé par la capacité de production industrielle est réservé aux géants de la pharma et non aux sociétés biotech: face à ce virus, il faut des muscles, en plus d’un cerveau! Quand on conduit une Fiat, on laisse passer la Ferrari.»
Dans le cas du programme américain Operation Warp Speed, parmi les treize acteurs de la pharma mondiale en lice, seuls quatre (Novavax, Vaxart, Inovio et Moderna) sont des biotech, qui se définissent par le fait qu’elles consomment de l’argent et qu’elles font de la recherche innovante, sans être au stade de la commercialisation. Moderna se distingue et possède «le même type de muscles que la big pharma», selon Francesco De Rubertis, après plusieurs milliards de dollars de fonds levés en dix ans d’existence. Pour lui, Moderna est devenue en l’espace de deux ans seulement, «une des plus grosses boîtes de vaccins au monde.»
Fin 2018, la biotech américaine a levé en Bourse plus de 600 millions de dollars, ce qui constituait à l’époque la plus grosse introduction d’une société de biotechnologies. En mai dernier, elle a levé un autre milliard de dollars, afin de créer des usines supplémentaires pour produire le nombre de doses de vaccins demandé par l’Administration américaine et qui a confié le pilotage de son programme Operation Warp Speed au professeur et chercheur, Moncef Slaoui, associé auprès de Medicxi jusqu’à cette nomination en mai (lire ci-dessous).
«La biotech un rôle improbable à jouer avec une petite découverte soudaine non prévue dans cette course actuelle où l’égalité des chances est une illusion (level playing fields)», insiste Francesco De Rubertis, cofondateur de Medicxi en 2016 avec l’ancienne équipe des sciences de la vie d’Index Ventures et qui continue de gérer le portefeuille des sciences de la vie d’Index Ventures. L’innovation biotech apporte une
valeur ajoutée dès lors que les questions sont complexes, multifacettes et qu’elles soulèvent de nombreux points non résolus et où il s’agit de trouver le code, pour une meilleure connaissance d’autres types de maladie, comme le cancer ou la maladie d’Alzheimer. En effet, «qui ne se souvient pas du cas d’école» de la découverte fortuite de l’immunothérapie du cancer, par James Allison, chercheur du New Jersey, Prix Nobel 2018, s’interroge le cofondateur de Medicxi. Ce protocole avait ensuite été repris par les laboratoires pharmaceutiques, à hauteur de dizaines de milliards de dollars d’investissement.
La Covid 19 présentant un large spectre de symptômes – elle touche au système nerveux central, à l’intestin, au système immunitaire – le risque est grand de voir un certain nombre de sociétés biotech se lancer dans la course au vaccin, de façon opportuniste. «Le créneau est surmédiatisé, avec un potentiel financement public substantiel. Raison pour laquelle tous les petits acteurs s’y agglutinent. Si je reste un fervent défenseur de l’innovation biotech – c’est l’ADN de Medicxi et c’est toute ma vie – je suis catégorique sur un point: les petites sociétés biotech et les VC biotech n’ont rien à faire dans l’urgence médicale et sanitaire, qui se joue actuellement. Ils peuvent en revanche apporter leur valeur ajoutée en périphérie, c’est-à-dire dans le développement d’éventuels médicaments sur le long terme, mais pas pour le vaccin à très court terme!»
Qu’en est-il de Genève où siègent l’OMS et Gavi (alliance pour les vaccins) et qui veut peser dans la gouvernance mondiale de cette course au vaccin? «En tant qu’organisation impartiale, l’OMS émet des avis qui font foi. Elle a un rôle de leadership fort à jouer, pour les pays en voie de développement notamment. En revanche, au niveau opérationnel, elle n’a pas le pouvoir d’imposer quoi que ce soit aux laboratoires qui décideraient de faire cavaliers seuls», conclut Francesco De Rubertis.