Le vaccin contre la pandémie de coronavirus: un bien public global? Tel est le souhait du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres. Le Portugais l’a déclaré à plusieurs reprises dans la presse, peu avant que l’ONU ne célèbre ce lundi ses 75 ans. Mais la bataille s’annonce rude face aux ambitions des Etats-Unis.
«Aucun pays n’a le droit de dominer les affaires du monde, de contrôler le destin des autres ou de conserver les avantages juste pour lui», a déclaré lors de la cérémonie, virtuelle, le président chinois Xi Jinping dans une allusion à peine voilée à Donald Trump. Cependant, à Genève, une initiative de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) tente de mobiliser la communauté internationale pour qu’il y ait un vaccin accessible au plus grand nombre. Elle s’appelle Covax Facility. 156 pays sur les 194 membres de l’OMS, regroupant près des deux tiers de la population mondiale, participent à cette initiative pilotée par l’alliance du vaccin (Gavi), basée à Genève, et la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (Cepi).
«64 économies à revenu élevé ont maintenant rejoint le mécanisme Covax et 38 autres économies devraient signer dans les prochains jours», se réjouit Seth Berkeley. Joint au téléphone entre deux séances par L’Agefi, le directeur de Gavi estime que «si les pays non signataires, qui figurent parmi les pays riches, paraissent bien moins engagés, comme les Etats-Unis, la Chine ou la Russie, ils sont toujours plus nombreux à comprendre qu’ils ne seront pas en sécurité avant que nous soyons tous en sécurité. Aucun Etat ne peut prétendre connaître avec certitude quel vaccin fonctionnera et peut se retrouver le bec dans l’eau malgré les montants substantiels dépensés.»
Depuis sa création il y a 20 ans, Gavi est un partenariat public-privé qui a permis de mener plus de 460 campagnes de vaccination et a vacciné 60% des enfants dans les pays en développement. Aujourd’hui, son défi est de convaincre les pays riches de financer le dispositif. Et Seth Berkeley d’insister: «Le multilatéralisme est la seule assurance d’accès au vaccin pour les pays riches signataires d’accords bilatéraux voulant protéger leur population domestique. C’est l’unique moyen de contrôler la pandémie et de revenir à une existence normale.» Donald Trump se situe pourtant à l’exact opposé, lui qui a fait la promesse aux Américains de leur fournir un vaccin contre le coronavirus avant la fin de l’année. «Ces vaccins seront gratuits pour la population des Etats-Unis», promet d’ailleurs Moncef Slaoui, directeur du programme américain Operation Warp Speed, lancé en mai dans la course mondiale au vaccin anti-Covid.
Au sein du programme Covax Facility, neuf vaccins (dont sept en test clinique) sont financés par le Cepi à hauteur de 1,4 milliard de dollars de recherche et développement (lire ci-contre); neuf autres vaccins (dont deux en test de phase 1) le sont par la Fondation Bill et Melinda Gates et plusieurs autres le sont par des industriels venus compléter l’initiative. L’objectif est de disposer de 2 milliards de doses d’ici à la fin de 2021.
Pour ce faire, Covax a besoin d’un montant initial de 7,5 milliards de dollars d’ici à la fin de 2020, mais le coût estimé est beaucoup plus élevé. La facture finale pour les pays riches reste difficile à évaluer: elle dépend du dosage et de la production.
«Le coût sur deux ans de la pandémie (12.000 milliards de dollars) représente environ 500 milliards de dollars par mois, selon le FMI. Autrement dit, un vaccin efficace permettant la reprise de l’économie serait amorti en trois à quatre jours. Ce qui est spectaculairement bas pour payer l’ensemble des effets», s’enthousiasme Seth Berkley, installé au Geneva Health Campus.
L’opposition entre pays riches et pays pauvres dans cette course au vaccin est résumée en deux scénarios. Ils ont été modélisés par le laboratoire Mobs (Northeastern University) à la demande de la fondation Bill et Melinda Gates et publiés dans le Financial Times le 15 Septembre. Dans le premier scénario, environ 50 pays à revenu élevé monopolisent les deux premiers milliards de doses de vaccin. Dans l’autre scénario, les doses sont distribuées dans le monde entier en fonction de la population de chaque pays et non de sa richesse. Dans cette hypothèse, un vaccin permettrait d’éviter 61 % des décès jusqu’au 1er septembre 2021. Dans le premier scénario, lorsque les pays riches thésaurisent le vaccin, près de deux fois plus de personnes meurent et la maladie continue de se propager sans contrôle pendant quatre mois dans les trois quarts du monde.
Pour pallier l’urgence sanitaire, les initiateurs du programme Covax ont pris la décision stratégique de ne pas créer une nouvelle institution, mais de prendre appui sur des mécanismes existants. «A Genève, se trouve déjà la gouvernance mondiale en matière de santé, avec l’OMS, le Global Fund, l’organisation internationale d’achats de médicaments (Unitaid), la Fédération internationale de l’industrie du médicament (IFPMA). Nous travaillons main dans la main avec la France, l’Allemagne et la présidence de l’UE et nous allons créer un comité pour permettre aux pays non-donateurs de Gavi de faire entendre leur voix. C’est le choix que nous faisons pour renforcer cette gouvernance, c’est-à-dire en capitalisant sur un système existant», résume le directeur de Gavi, confiant malgré «la complexité de la mission.»
Covax: neuf vaccins (dont sept en test clinique)
Au sein du programme Covax Facility, ces neuf vaccins sont financés par le Cepi à hauteur de 1,4 milliard de dollars de recherche et développement:
Clover Biopharmaceuticals (phase I);
Institut Pasteur, Themis Bioscience, University of Pittsburgh (préclinique);
University of Hong Kong (préclinique);
Novavax, Inc. (phase I);
University of Oxford et AstraZeneca (phase III);
University of Queensland (phase I);
Moderna, Inc (phase III);
Inovio Pharmaceuticals (phase I/II);
CureVac (phase I). – (EF)