Philippe D.Monnier
L’industrie automobile n’est pas épargnée par la crise sanitaire et cela a des répercussions sur de nombreuses pans de l‘économie, notamment les salons genevois de l’automobile.
C’est dans ce contexte que L’Agefi a interviewé Markus Duesmann, CEO d’Audi et responsable pour la recherche et le développement du groupe Volkswagen.
En 2019, les ventes de ce groupe de 670 000 employés se sont élevées à 250 milliards d’euros. Un groupe qui englobe douze marques, notamment VW, Audi, Porsche, Lamborghini, Seat et Skoda. Markus Duesmann, ingénieur de formation, a passé toute sa carrière dans l’industrie automobile, y compris chez Mercedes-Benz et BMW.
CRISE SANITAIRE ET NEUTRALITÉ CARBONE
Après une année de crise sanitaire, comment voyez-vous l’avenir d’Audi ?
Je suis prudemment confiant, notamment parce que nos résultats du deuxième semestre de 2020 sont relativement satisfaisants: en effet, nos ventes n’ont chuté que de 10% en comparaison avec la même période de l’année précédente. En plus, nous constatons que la crise sanitaire encourage la mobilité individuelle. Finalement, le Covid a généré une accélération de tous les processus, y compris ceux en relation avec les objectifs de la neutralité carbone.
En faisant abstraction des aides étatiques et de la vente de certificats carbone, les voitures électriques sont-elles toujours moins rentables que les véhicules traditionnels?
Récemment, le coût de fabrication des véhicules à combustion a augmenté. En revanche, il est devenu moins cher de produire des voitures électriques, notamment grâce à la baisse du coût des batteries et à la mutualisation de plusieurs composants au sein du groupe Volkswagen. Tout compte fait, la profitabilité des voitures électriques est devenue comparable à celle des voitures à combustion et cela sans prendre en considération la vente de certificats carbone. De plus, les aides étatiques en faveur des véhicules électriques n’ont pas d’influence directe sur notre profitabilité car ce sont les clients finaux qui perçoivent ces subsides et non les constructeurs d’automobiles.
SALONS AUTOMOBILES GENEVOIS
Les salons automobiles traditionnels répondent-ils toujours aux attentes des constructeurs automobiles ?
Dans le passé, j’étais très satisfait de ces salons. Maintenant, en cette période de Covid, je suis également très content avec nos solutions virtuelles. Par conséquent, après la crise sanitaire, je m’attends à un nouvel équilibre entre les salons physiques et les solutions virtuelles. Je suis d’ailleurs très curieux de voir comment les salons physiques vont faire face aux nouvelles réalités. Nous allons observer de très près la mise en place des grands changements annoncés pour le salon automobile de Munich (IAA). Durant cet événement prévu en septembre 2021, l’engouement du public et de la presse feront partie de nos critères clés.
Que pensez-vous du Salon automobile de Genève (GIMS)?
J’apprécie beaucoup ce salon car il permet d’avoir rapidement une vue d’ensemble. De plus, le fait que ce salon ait lieu relativement tôt dans l‘année est parfait pour annoncer des nouveautés. En revanche, le salon de Detroit, qui a lieu en janvier, arrive trop tôt dans l’année pour dévoiler des nouveaux modèles. Finalement, Genève est en soi une ville très attractive.
En 2022, allez-vous participer au GIMS avec une présence comparable à celle de 2019?
A priori oui, pour autant bien sûr que le Covid soit derrière nous à cette date.
Quid du Geneva Automotive & Mobility Media Days prévu en mars 2021 sous l’égide de Palexpo?
Nous ne serons pas présents car je suis extrêmement sceptique quant à cet événement.
MARCHÉ SUISSE
Comment caractériseriez-vous le marché suisse?
Les clients suisses ont un intérêt marqué pour les véhicules à quatre roues motrices et ainsi que pour les gros moteurs. Pour cette raison, ce marché convient parfaitement à Audi et nous continuons à bien nous développer en Suisse.
En Allemagne, de nombreuses entreprises ont des relations tendues avec les syndicats. Envisagez-vous de délocaliser certaines fonctions vers un pays plus libéral comme la Suisse et cela malgré les impôts de sortie?
Dans notre secteur, l’Allemagne a de grandes compétences et, en plus, nous souhaitons maintenir l’emploi dans ce pays. Et si des réductions de personnel sont nécessaires, elles doivent avoir lieu de manière concertée avec les représentants de nos employés. En outre, nous évaluons régulièrement les opportunités de développement hors d’Allemagne, y compris en Suisse ; en tout cas pour l’instant, aucun grand projet du type nouvelle usine n’est prévue dans votre pays.
Normalement, les constructeurs automobiles vendent leurs véhicules par le biais de distributeurs, par exemple Amag. Etes-vous satisfait de ce canal de ventes?
Fondamentalement, je suis très satisfait de notre collaboration avec nos partenaires distributeurs, y compris en Suisse, car ces partenaires connaissent très bien nos clients finaux. Néanmoins, je pense qu’il est souhaitable que ces distributeurs accompagnent encore plus nos clients finaux en tirant parti d’applications en ligne.
Dans l’industrie automobile, la majorité des innovations sont réalisées par les fournisseurs. Le groupe Volkswagen devrait-il investir davantage dans ce domaine?
Cela fait en effet très longtemps que nos fournisseurs jouent un rôle clé dans l’innovation même si nous investissons des sommes considérables pour le développement de composants essentiels, notamment les moteurs et, de plus en plus, les batteries pour voitures électriques. En outre, dans le futur, le groupe Volkswagen mettra un accent tout particulier pour développer des logiciels automobiles ; la part du développement interne va en effet passer de 10 à 50%.
Pour les voitures électriques, le groupe Volkswagen a mis en place une plate-forme commune. Diriez-vous que les synergies internes sont devenues plus importantes que jamais?
Cette plateforme pour les voitures électriques va certainement accélérer les synergies entre les différentes marques et modèles de notre groupe. Néanmoins, avant cela, nous avions déjà d’autres plateformes communes pour les voitures traditionnels.
TESLA ET LES FABRICANTS AUTOMOBILES CHINOIS
Selon certaines sources, Tesla pourrait «s’unir» avec un constructeur automobile traditionnel. Dans un tel cas de figure, comment évaluez-vous les synergies?
Je n’en vois aucune. En plus, le groupe Volkswagen (ou Audi) n’a aucunement l’intention de s’unir avec Tesla. Notre groupe vend 11 millions de véhicules par an et nous avons bien sûr nos propres masses critiques (ndlr: Tesla devrait vendre moins de 500.000 véhicules en 2020). Enfin, concernant nos synergies internes, nous avons encore beaucoup de potentiel.
Votre groupe propose de nombreuses marques, modèles et options, le tout en version électrique et traditionnelle. En revanche, Tesla n’a que quelques modèles électriques avec très peu d’options…
Nous offrons en effet une très grande diversité de solutions et nos clients se sont habitués à cette vaste palette de possibilités. En outre, pour chaque modèle, nous avons de très gros volumes. Par exemple, de janvier à novembre 2020, les ventes en Allemagne de nos Audi e-tron (y compris Sportback) ont été plus de six fois supérieurs aux ventes combinées des modèles S et X de Tesla. Néanmoins, étant donné la complexité industrielle générée par la diversité de notre offre, il est certain que nous n’allons pas l’élargir davantage.
Les constructeurs automobiles chinois sont à peine présents en Europe occidentale et aux États-Unis. Vous attendez-vous à un changement fondamental sur ce point dans les dix ans à venir? L’exportation des voitures fait partie des plans du gouvernement chinois. Je m’attends donc à une croissance significative du nombre de véhicules chinois en Europe occidentale et aux Etats-Unis.
En Chine, le groupe Volkswagen a une joint-venture avec l’entreprise étatique FAW. Votre propriété intellectuelle est-elle illégitimement usurpée comme le prétend Donald Trump?
Notre groupe a une longue tradition en Chine et nous avons des relations de confiance avec FAW. Notre joint-venture fonctionne bien, y compris en ce qui concerna la propriété intellectuelle. Sur ce dernier point, un modus operandi clair a été défini et nous ne rencontrons aucun problème.