• Vanguard
  • Changenligne
  • FMP
  • Rent Swiss
  • Gaël Saillen
S'abonner
Publicité

Tobias Straumann: «Des forces libérales attaquent la mondialisation»

Réflexion. Professeur d’histoire économique à l’Université de Zurich, Tobias Straumann relève que la tendance à la réglementation conduit à des positionnements politiques plus complexes.

Tobias Straumann. «Le scepticisme à l’égard de l’économie ne va pas disparaître de sitôt.»
Tobias Straumann. «Le scepticisme à l’égard de l’économie ne va pas disparaître de sitôt.»
28 septembre 2020, 2h01
Partager
La pandémie de Covid-19 a aussi eu pour conséquence d’engendrer de très fortes restrictions de la liberté des individus et des entreprises à titre de mesures sanitaires. Pour Tobias Straumann,  professeur d’histoire économique à l’Université de Zurich, ces mesures étatiques n’ont pourtant provoqué aucun changement de paradigme pour le libéralisme. Autre période, plus déterminante:  la crise financière de 2007/2008, qui a provoqué un renversement de tendance. «Au cours des dix dernières années, le libéralisme a été mis sous pression. La période actuelle n’est certainement pas très  libérale. En la comparant à la situation d’il y a 70 ans, marquée par les conséquences de l’économie de guerre seulement cinq ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, nous sommes toutefois aujourd’hui dans un environnement beaucoup plus libéral», analyse Tobias Straumann. Si plusieurs excès ont conduit à la correction déclenchée par la crise financière, le professeur d’histoire économique ne cite cependant pas le néolibéralisme en premier lieu. Il est plutôt question d’une déconnexion de l’élite financière, qui «s’est montrée totalement impuissante face à cette crise, à la stupéfaction du monde entier. Le narratif de la relation entre la rémunération élevée des dirigeants et leurs responsabilités, généralement accepté avant la crise, s’est effondré brutalement. La finance n’avait plus aucun allié pour lutter contre une régulation plus forte. Le choc a été profond: même jusqu’à aujourd’hui, il n’y a pas eu de réaction contre cette tendance à la régulation. Bientôt, il y aura Bâle IV. Ce regain de confiance en l’Etat, et le scepticisme croissant à l’égard de l’économie privée, ne vont pas disparaître de sitôt.» Il n’a pas fallu attendre la crise financière pour une remise en question des principes libéraux. La création d’un véritable marché mondial, en guise de couronnement de la longue période de libéralisation de l’après-guerre, ne s’est pas faite sans contrepartie. Celle d’une volonté d’uniformiser les pratiques, d’éviter les discriminations: «Depuis les années 1970, et encore plus fortement à partir des années 1990, qui ont marqué un bond énorme, les libéralisations s’étaient faites accompagner par une régulation renforcée, dans les services, les mouvements de capitaux, les marchés financiers, la circulation des personnes, notamment», explique Tobias Straumann.  Cette régulation a développé sa propre dynamique, notamment dans des organisations onusiennes comme l’OMC ou à l’OMS, «qui ont désormais une importance énorme. Souvent, les processus de ces organisations ne sont pas démocratiques, et leurs directives sont élaborées par des conseils d’experts. En voulant tout harmoniser, on s’ingère dans tous les domaines. Il y a toujours plus de pays qui s’opposent à ces tentatives», constate Tobias Straumann.  Cette tendance à la (sur)réglementation conduit à des positionnements plus complexes, et même à «une situation où la mondialisation est attaquée par des forces libérales, précisément à cause de la réglementation.   Des populistes comme Boris Johnson ou Donald Trump ont des programmes très différents. Le premier ministre britannique, par exemple, défend à l’extérieur des positions en faveur du libre-échange. Mais dans son pays, il se positionne plutôt à gauche, et veut renforcer le système social. Quant à Donald Trump, c’est l’inverse: il abaisse les impôts pour les entreprises, allège très fortement les réglementations à l’intérieur des Etats-Unis. En même temps, il mène des guerres douanières et va très loin dans la limitation des règles internationales.»

Les contradictions de l’égalité des chances

L’égalité des chances, la possibilité pour chaque individu de réaliser son projet fait partie des fondements du libéralisme. Des démarches censées l’améliorer, comme la «démocratisation des études», peuvent néanmoins avoir un effet contraire, par exemple aux Etats-Unis, déplore Tobias Straumann: «Les élites vont à Harvard, ou dans d’autres universités dont les diplômes valent plus que ceux d’une université quelconque. En revanche, en Suisse, le système de formation perméable garantit cette égalité. Dans notre pays, il n’y a pas besoin d’avoir un diplôme universitaire pour pouvoir faire une belle carrière professionnelle. J’espère que la Suisse conservera ce système.» Au sein même de la recherche académique en économie, la position dominante du libéralisme pour traiter les questions de principe s’est fragilisée quelque peu. «Aujourd’hui, les approches sont plus empiriques. Le courant d’économistes de gauche, présent depuis toujours, s’est renforcé au fil des dernières années. Mais les manuels continuent de soutenir que les marchés sont une bonne chose. La recherche est devenue plus ouverte à des interventions étatiques, pour autant qu’elles soient pertinentes.»