Un an après avoir succédé à Nicolas Pictet en tant qu’associé senior, Renaud de Planta reçoit L’Agefi au siège du groupe aux Acacias. L’occasion d’aborder la marche des affaires de l’établissement bancaire genevois, l’investissement durable ainsi que les questions de gouvernance, alors qu’un bureau a New York a été ouvert ce lundi 5 octobre, et qu’un autre, en Chine continentale, le sera dans quelques semaines.
Rencontré après le rejet de l’initiative UDC dite de limitation, l’associé senior de Pictet insiste sur l’importance cruciale d’un accord-cadre avec l’Union européenne (UE) et la sécurité du droit pour l’économie et les secteurs d’exportation. Enfin, Renaud de Planta propose aussi la création d’un fonds souverain constitué d’une partie des réserves de changes de la Banque nationale suisse ainsi que la prochaine votation sur l’initiative des multinationales responsables (le 29 novembre).
Chapitre 1: la marche des affaires
A fin juin, le groupe Pictet enregistrait 559 milliards d’avoirs sous gestion et administration dont les deux lignes de métier, gestion institutionnelle et privée, se partagent environ la moitié chacune. Avec un bénéfice et une masse d’actifs en léger recul. Comment se présente le reste de l’année?
Compte tenu de cette année assez folle, avec cette crise du virus, je dirais que c’est une bonne année, en valeur absolue. Avec le déclenchement d’un autre mode de fonctionnement, le basculement très rapide en travail à distance pour trois-quarts de nos employés, l’impossibilité de se déplacer, j’ajouterais que 2020 est même une très bonne année, en valeur relative.
En termes de performance pour nos clients – ce qui est le nerf de la guerre – nous avons battu plus de 80% des indices de référence.
Nous avons été capables d’opérer à tout moment et à toute heure alors que, mi-mars, les marchés ont connu le krach le plus rapide et violent de l’histoire. Ce fut pire qu’en 1987 (ndlr: la Bourse américaine a chuté de 22,6% en une séance) avec une volatilité jamais connue et une baisse de 35% en francs suisses de l’indice mondial des actions au niveau mondial, en 23 jours de Bourse.
En termes commerciaux pour le groupe, c’est un premier semestre marqué par un apport de fonds net à deux chiffres en milliards de francs. En conséquence, nos avoirs en milieu d’année ont peu baissé, ce qui est de bon augure pour la suite.
Et justement ce deuxième semestre?
Ces premiers résultats et les performances réjouissantes de nos stratégies d’investissement, notamment rendement absolu et thématiques, nous laissent espérer un bon second semestre. Nous continuons par ailleurs à investir pour le long terme. Comme le montre par exemple notre développement en Asie, où nous avons recruté une équipe de vingt banquiers en Asie du Nord spécialisés sur la Chine continentale.
Et le 1er novembre, nous allons ouvrir une filiale de Pictet Asset Management à Shanghai, spécialisée dans la recherche, l’analyse financière et économique et la promotion de nos compétences de gestion.
Pourquoi y ouvrir une filiale pour la gestion institutionnelle et pas pour la gestion privée?
La Chine devient toujours plus importante avec la part croissante qu’elle prend dans les indices obligations et actions. Cela signifie que développer des compétences analytiques approfondies de ce pays et de ses entreprises est devenu incontournable. Certes, nous sommes déjà à Hong Kong et à Singapour, mais rien de tel que d’être sur place pour attirer des talents et compter sur des équipes qui parlent les différents dialectes chinois.
Nous pouvons contrôler la filiale directement, sans passer par une joint-venture. Les activités à Shanghai seront pilotées de Hong Kong par la CEO de Pictet Asset Management en Asie, Junjie Watkins, une Chinoise du continent qui a fait l’essentiel de sa carrière dans de grands groupes américains.
La banque privée est-elle prévue pour plus tard?
Notre banque privée est déjà bien implantée à Hong Kong (avec 182 collaborateurs) et autant à Singapour. A l’exception de Shanghai, nous n’avons à l’heure actuelle pas d’autre projet d’implantation en Asie.
Avec la situation politique actuelle à Hong Kong, rencontrez-vous plus de soucis?
Non, il n’est pas vraiment devenu plus problématique d’y opérer malgré les instabilités. Hong Kong a d’ailleurs bien géré la crise de la Covid, en dépit de l’exiguïté et de la densité du territoire et du phénomène de stress qui peut en résulter. Nous y déployons notre activité régionale pour l’Asie du Nord.
L’Asie concentre 60% de la population mondiale et un tiers du PIB mondial, en augmentation. Hong Kong et Singapour demeureront des places financières importantes.
Votre directrice régionale restera basée à Hong Kong ou allez-vous rapatrier ses activités à Singapour?
La responsable régionale pour la gestion d’actifs restera basée à Hong Kong et nous n’envisageons pas de déplacer des activités à Singapour. Plus généralement, le développement d’un site par rapport à un autre dépend de multiples facteurs, dont celui de la stabilité juridique. Il faut aussi remarquer qu’en gestion d’actifs, l’Asie du Nord est plus développée (avec l’énorme marché de la Chine, Taiwan, Hong Kong et Corée du Sud) que le Sud-Est asiatique.
Et vous venez d’inaugurer votre bureau à New York...
Nous devions l’ouvrir il y a quelques mois. C’est désormais chose faite depuis le 5 octobre. New York est une base importante de clients institutionnels, avec nombre de grandes banques américaines et de compagnies d’assurance. Nous avons développé de longue date une importante clientèle institutionnelle américaine depuis Montréal et Londres; mais nous estimions que ce modèle atteignait ses limites et qu’une plus grande proximité s’imposait avec le plus grand marché institutionnel et le plus important pool de talents au monde.
Le groupe a toujours privilégié la croissance organique. Pour votre développement à New York, pourquoi ne pas avoir cherché à acquérir une entité déjà établie dans la gestion institutionnelle aux Etats-Unis où le groupe n’a jamais été présent?
Nous ne sommes pas des adeptes des fusions-acquisitions qui, historiquement, n’ont pas connu beaucoup de succès dans notre industrie. Ce n’est pas dans notre ADN et nous sommes convaincus que la croissance organique, plus que d’autres modèles, permet de conserver cette homogénéité de culture, cette stabilité des équipes et cette continuité dans la qualité de service aux clients qui nous a, je crois, bien réussi pendant notre longue histoire. En 215 ans, nous sommes devenus l’un des plus grands acteurs en Europe et le troisième plus grand en Suisse. En outre, la croissance organique permet de maintenir l’unicité de la plateforme informatique, ce qui est très important pour réduire les risques opérationnels.
L’obtention de la licence à New York a-t-elle été facile?
Cela n’a pas posé de problème particulier; nous avons plus de 25 ans d’expérience avec les autorités américaines. Toutes les sociétés de gestion de Pictet Asset Management sont enregistrées auprès de la SEC, tout comme Pictet North America Advisors, notre société de conseil et gestion pour la clientèle privée américaine.
Quels risques voyez-vous, en termes de réputation, avec le différend toujours en cours avec le Département américain de la justice (DoJ) concernant la gestion privée de Pictet, si une sanction venait à tomber?
Il n’y a pas de lien entre notre implantation à New York et le DoJ et je ne vois pas de risque particulier. Encore une fois, nous sommes actifs depuis longtemps sur le marché institutionnel américain.
Comment expliquez-vous le délai de cette procédure du DoJ à l’encontre de Pictet?
Je l’ignore; vous comprendrez que nous n’avons pas d’influence sur le rythme de la procédure.
Quelle est la probabilité de ne jamais être sanctionné?
Vous comprendrez qu’il m’est impossible de répondre à cette question.
Chapitre 2: l’investissement durable
En termes d’investissements responsables, 10% des avoirs gérés par Pictet Asset Management le sont de manière durable et 80 % des actifs intègrent des critères ESG (environnement, social, gouvernance). Quelles sont vos définitions de la durabilité et de l’investissement ESG?
Aujourd’hui, les multiples définitions créent une confusion dans le marché. D’où l’effort en Europe pour établir une taxonomie. L’intégration des critères ESG dans le processus d’investissement dépend d’une définition assez large. Pour Pictet AM (ndlr: gestion d’actifs), plus de 90% des portefeuilles en gestion active les respectent alors que ce taux est plus bas dans la gestion privée mais devrait atteindre 80% d’ici à la fin de l’année. L’objectif est d’atteindre 100% globalement.
Plus concrètement?
Nos gérants de fonds doivent intégrer des indicateurs sociaux et environnementaux matériels, tant négatifs que positifs, comme déceler les entreprises impliquées dans une controverse environnementale (ou dont les mesures de sécurité, insuffisantes, pourraient conduire à une catastrophe environnementale à la BP dans le golfe du Mexique), ou le travail des enfants. La bonne gouvernance est aussi scrutée, notamment le traitement des actionnaires minoritaires.
Procédez-vous à des exclusions de titres?
Oui, certains secteurs sont écartés, par exemple les fabricants de bombes à sous-munitions et mines anti-personnel.
Et exclure Exxon ainsi que les autres majors du pétrole?
Si nous sommes en mode exécution simple, notre pouvoir d’influence est évidemment faible. En revanche, quand nous avons un pouvoir discrétionnaire, nous pouvons agir, notamment par l’actionnariat actif et l’engagement avec des sociétés pour les faire «transitionner» vers une économie «low carbon». Nous avons par ailleurs décidé avant la crise d’éliminer de notre bilan toute exposition à des entreprises liées aux énergies fossiles. Il en reste désormais moins de 0,01%, qui sera éliminé au 31 décembre. Le groupe était cependant traditionnellement faiblement exposé à ces sociétés.
Poursuivez-vous d’autres objectifs de développement durable, comme la lutte contre la pollution au plastique?
Notre groupe est impliqué dans la lutte contre le microplastique et nous avons par exemple des échanges réguliers avec Nestlé sur des mesures pour réduire l’utilisation de plastiques dans les emballages et les remplacer par des alternatives moins polluantes.
Chapitre 3: la gouvernance
Vous avez succédé à Nicolas Pictet le 1er septembre 2019 en tant qu’associé senior. Quel est votre premier bilan?
La gouvernance chez Pictet c’est sept associés, 40 «equity partners» et des comités exécutifs. Nous gérons le groupe ensemble. En tant qu’associé senior, je ne suis que le coordinateur. Je suis satisfait de cette première année, avec de très bonnes réactions des clients sur la manière dont nous avons géré la crise, des performances de gestion réjouissantes et une série d’initiatives stratégiques qui progressent.
Au nombre de celles-ci, le développement d’une franchise en actifs privés, qui sont en progression avec près de 17 milliards de dollars en private equity et 4 milliards en immobilier.
Notre équipe de douze professionnels en immobilier, active sur cinq sites en Europe a levé cette année 700 millions d’euros pour notre première stratégie d’investissement en immobilier direct alors que nous en espérions 400 millions.
Nous avons aussi monté une équipe spécialisée en dette décotée («distressed debt»). Avec sa première levée de fonds, 350 millions de francs, elle a réalisé une performance depuis le début de cette année supérieure à 30%. C’est une classe d’actifs qui présente un grand potentiel en raison malheureusement du surendettement généralisé en Europe Mais un tel fonds contribue au bon fonctionnement du marché des capitaux et c’est une nouvelle compétence que nous pouvons offrir à nos clients.
A quand une femme au collège des associés?
Je ne peux pas vous le dire mais nous l’espérons tous. Nous avons pris un certain nombre de mesures pour promouvoir la diversité et l’inclusion qui ont porté leurs premiers fruits.
Notre ambition est d’avoir 30% de femmes à l’horizon 2025 dans des positions managériales. Notre bureau de New York est dirigé par une femme, Pictet Asset Management en Asie l’est également. Dans les classements récents Alpha Female des 50 meilleurs hedge fund managers du monde, nous en avons trois. Lan Wang, Elif Aktug, et Ella Hoxha.
Nous aimerions en avoir plus. 50% des engagements dans des fonctions de clientèle dans le wealth management au cours des deux dernières années ont été des femmes et cette tendance se poursuit. Il faut dire qu’il y a peu d’attrition dans le groupe. C’est positif, mais cela signifie qu’il faut plus de temps pour renouveler le personnel. C’est plus facile pour certains de nos concurrents en Asie, qui ont plus de 25% de turnover.
Votre nouvel associé Boris Collardi a fait les gros titres de la presse, après un verdict sévère de la Finma sur ses années à la tête de Julius Baer. Puis le parquet zurichois a informé qu’il était visé par une plainte anonyme avant de renoncer à enquêter. C’est une situation inhabituelle pour Pictet, d’ordinaire si discrète. Tout va donc bien?
Tout a été dit sur ce sujet. Nous soutenons Boris Collardi. La décision d’admettre un nouvel associé au sein du collège n’est pas prise à la légère et je puis vous assurer que nous avons effectué notre devoir de diligence préalable.
«Un fonds souverain pour investir non pas en Suisse, mais à l’étranger»
Quelle est votre opinion sur l’accord-cadre de la Suisse avec l’Union européenne (UE)?
Il nous faut un accord-cadre avec l’UE car la sécurité du droit est importante pour l’économie et les secteurs d’exportation. Or, l’Europe est un marché d’exportation de biens mais aussi de services. Cet accord est-il le meilleur? Je ne le sais pas, mais nous n’en avons pas d’autre pour le moment. Il faut donc résoudre les différends assez rapidement pour permettre aux entreprises suisses d’investir en Suisse et d’y créer des postes de travail.
Vos effectifs augmentent. Quels pays bénéficient le plus de cette création de postes?
Il y a 22 ans, lorsque j’ai rejoint la banque, pour trois postes créés en Suisse, il y en avait un créé à l’étranger. Aujourd’hui, pour un poste créé en Suisse, il y en a presque trois à l’étranger. C’est l’ordre de grandeur, similaire pour d’autres institutions, et pour la Suisse c’est un vrai sujet.
Les deux grands marchés pour la création de postes dans le groupe sont l’Europe continentale et l’Asie. Notre développement est freiné à Londres en raison des incertitudes actuelles du Brexit.
Je reviens aux relations avec l’UE. Nous devons créer de la prévisibilité pour les entreprises suisses. C’est une condition préalable à tout autre négociation. Sinon les groupes financiers suisses vont se développer en Europe. Ce qui pèsera sur l’emploi et sur les revenus fiscaux en Suisse.
L’initiative sur les multinationales responsables est la prochaine votation importante pour l’économie suisse (29 novembre). Quel est votre avis? Quel est l’impact potentiel pour le groupe Pictet?
Cette initiative présente certains défauts, même si ses objectifs sont louables. Le premier est l’inversion du fardeau de la preuve. C’est un principe toxique à bannir. Le deuxième défaut est d’étendre la responsabilité aux sous-traitants et à leurs propres fournisseurs. Cela crée un risque énorme. Sans compter un autre paradoxe: les juges suisses interviendraient sur ce qui se passerait à l’étranger. Si c’était la situation inverse, nous le prendrions mal.
Enfin, il ne faudrait pas que, fin novembre, la Suisse soit le seul pays à mettre en œuvre ce genre de réglementation. Elle se tirerait alors une balle dans le pied. Notre pays ne devrait pas adopter une attitude d’«enfant gâté». La présence d’entreprises internationales et exportatrices sur son sol n’est pas acquise à tout jamais. Soumises à une forte pression concurrentielle, beaucoup d’entre elles sont mobiles et peuvent se déplacer facilement vers des juridictions plus clémentes. La Suisse doit rester une terre d’accueil.
Et l’impact pour Pictet?
Cela dépend de la manière précise avec laquelle seraient traités les sous-traitants. L’initiative ouvrirait une boîte de Pandore et créerait des coûts gigantesques. Nous soutenons de ce fait le contre-projet du Conseil fédéral.
Le groupe a mis en place un programme d’actionnariat actif et de dialogue avec les metteurs dans le cadre des investissements effectuées pour la clientèle, à la fois privée et institutionnelle. Quels sont les exemples concrets pour les 10%-15% des motions rejetées, sur une base strictement durable?
Il nous est arrivé par exemple de nous opposer au management de certaines sociétés concernant des questions de rémunération ou encore de réélection de certains membres de leur conseil d’administration, par exemple lorsque leur contribution au développement de l’entreprise nous paraissait insuffisante et contraire aux intérêts des actionnaires.
Combien coûtent chaque année à Pictet les taux négatifs imposés par la Banque nationale alors qu’ils risquent d’être appliqués jusqu’en 2023 au moins si l’on suit les récentes annonces de la Réserve fédérale américaine (Fed)? Toutes les banques sont-elles égales face à cette situation?
Les taux négatifs impactent différemment les acteurs bancaires. Pour Pictet, l’an dernier, cette charge a représenté plus de 60 millions de francs, sur un compte de résultat d’environ 500 millions... Mais l’impact va au-delà. Les politiques de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Fed touchent également les banques suisses.
Le «quantitative easing» écrase la courbe des taux d’intérêt et les spreads de crédit. La Fed achète dorénavant même des obligations d’entreprises qui ne sont même pas «Investment Grade.» Les marges nettes d’intérêts des banques et leur résultat de trésorerie fondent comme neige au soleil. A long terme les taux négatifs en Europe détruisent la raison même des banques traditionnelles de réseau.
Il n’est donc pas étonnant que le secteur bancaire se traite avec une décote historique. En Europe, de nombreux acteurs importants se traitent entre 20 et 50% de leur valeur comptable. C’est notamment le cas de Lloyds, de Société Générale, de Credit Suisse... Les banques américaines ont une réglementation plus favorable en termes de fonds propres et de liquidités alors que celles en Europe subissent des taux plus bas et une réglementation plus contraignante. Le risque de consolidation pointe. On peut se demander si une reprise par des institutions américaines serait véritablement dans l’intérêt général. Après la crise financière, on s’est inquiété de la taille des banques dites systémiques («too big to fail»). Le paradoxe qui émerge est qu’aujourd’hui les autorités de surveillance semblent encourager les fusions, avec la BCE en chef de file.
Cela concerne-t-il aussi UBS et Credit Suisse?
Toutes les banques se parlent. Regardez Caxia en discussion de fusion avec Bankia, ce qui va créer un nouveau géant bancaire en Espagne. Les banques atteignent une taille toujours plus systémique et une position encore plus dominante.
Ces fusions créent rarement de la?valeur pour les actionnaires...
Souvent cela détruit de la valeur! La fusion UBS-SBS n’a ainsi pas été un succès pour les actionnaires.
Prévoyez-vous des acquisitions américaines en Europe?
C’est possible. Pour une banque américaine, dont la capitalisation boursière atteint 300 milliards de dollars, ce n’est pas grand-chose de payer 10 à 20 milliards, soit la valeur actuelle de banques européennes qui figurent parmi les plus grandes sur leur marché national (France, Allemagne et Suisse).
Revenons aux taux négatifs de la BNS. Frappent-ils les banques de la même manière?
Ils touchent les banques les plus prudentes de manière disproportionnée et surtout les banques de gestion car elles ont des liquidités excédentaires qu’elles ne peuvent pas déployer dans le cadre de crédits aux entreprises. Ce n’est pas le cas des grandes banques universelles, ou de réseau, qui n’ont donc pas besoin de répercuter les taux négatifs à leurs déposants Cette situation crée une distorsion de concurrence qui n’est pas suffisamment prise en compte par les autorités. Nous l’avons dit à plusieurs reprises, mais sans succès à ce stade. Les banques de gestion de fortune portent une part disproportionnée des coûts des intérêts négatifs, compte tenu de la taille de leur bilan et de leurs emplois.
Que faire des 800 milliards de réserves de la BNS, dont une partie ne servira sans doute jamais plus à la politique monétaire?
Je reste convaincu que l’excédent de la balance des paiements en Suisse est structurel. Il est lié aux gains de productivité réalisés par rapport à nos partenaires commerciaux, et aux revenus des capitaux des résidents. La Suisse est donc vouée à dégager des excédents, ce qui sauf ajustement du cours des devises entraîne la hausse constante des réserves de la BNS.
Le taux de change du franc suisse n’est plus surévalué par rapport à l’euro. Le dollar l’est. Le franc suisse pourrait donc se renchérir, vu la situation grave de l’endettement public aux Etats-Unis ou dans la zone euro.
Sur les réserves, la BNS va devoir moderniser leur gestion. A la Confédération d’y réfléchir. Investir 80% des réserves de la BNS dans des créances ou obligations étrangères dont les taux sont maintenus artificiellement à taux zéro ou négatifs par d’autres banques centrales ne rémunère de loin pas le risque. Même si l’objectif premier d’une banque centrale n’est pas de maximiser les bénéfices, il faudra investir de manière mieux diversifiée et à plus long terme. Cela dit, ce n’est pas facile à mettre en place pour la BNS. Ce sera à la Confédération de l’organiser. D’où l’idée que nous avons avancée il y a six ans de créer un fonds souverain. Mais il ne s’agit pas d’investir en Suisse parce qu’on parle de réserves de changes. Il faut donc les placer à l’étranger, dans des monnaies qui reflètent nos besoins d’importations. C’est ce que de nombreuses personnes ne comprennent pas encore.
La partie la moins liquide de ce fonds souverain pourrait investir dans des actifs réels et des projets à long terme. Par exemple dans l’énergie ou les infrastructures à l’étranger, qui bénéficieraient à la Suisse. Comme aider la France à se désengager du nucléaire en cofinançant un parc d’énergie renouvelable. Ou financer la rénovation de l’infrastructure routière en Italie du Nord, ce qui favoriserait les échanges commerciaux avec la Suisse. La liste des opportunités est longue. Cela ne concernerait qu’une fraction des 800 milliards. La partie incompressible de ces réserves serait donc déplacée dans un fonds souverain, hors bilan de la BNS. La BNS prêterait à ce fonds les devises étrangères nécessaires aux investissements. La Confédération fournirait les fonds propres. D’une manière ou d’une autre, on arrivera à une solution de ce type.