Le transfert d'un cadre (ou d’un manteau) d'actions consiste en une vente de droits de participation permettant à leur acquéreur de disposer d'une société non encore dissoute juridiquement, mais économiquement liquidée, pouvant avoir conservé à son bilan certains actifs en liquide (argent comptant, avoirs en banques, titres cotés) déterminant la valeur vénale de ses actions1. De la sorte, le repreneur pourra constituer une nouvelle entité, sur les ruines de la précédente, et évitera, entre autres, ses incombances relatives au capital actions minimum ou à l’inscription au Registre du commerce. Par ailleurs, il se dédouanera des frais notamment de notaire et autres charges et taxes fiscales applicables tant à la création d’une nouvelle société qu’à sa dissolution.
L’emploi d’un mécanisme de ce type est jugé de longue date par le Tribunal fédéral comme constitutif d’un abus de droit sous l’angle fiscal. Dès lors, dans de telles constellations, on considère qu’il y a liquidation de la société dont les parts sont vendues, puis nouvelle fondation, au sens du droit civil2. La société de capitaux et ses actionnaires se voient ainsi imposés comme cela aurait été le cas si ces opérations avaient été effectivement réalisées. La transaction sera ainsi soumise (i) à l'impôt anticipé ainsi qu’au (ii) droit de timbre d'émission3, le premier dès lors que le montant perçu par l’actionnaire est assimilé à un bénéfice de liquidation (déduction faite de sa part au capital-actions), et le second, pour la nouvelle fondation (pour autant que le capital dépasse CHF 1 million)4.
Malgré cette jurisprudence établie, ce processus n’engendre aujourd’hui pas la nullité ou l’annulabilité de l’opération du point de vue du droit civil, mais une simple remise en conformité de la situation fiscale, le cas échéant. Cela est toutefois voué à changer à brève échéance, par le biais d’une refonte des dispositions légales applicables. Il s’agira d’exposer ci-après les principales implications pratiques en découlant.
Ainsi, la vente de manteaux d’actions sera prochainement explicitement rendue nulle par l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi fédérale sur la lutte contre l'usage abusif de la faillite. Cette réglementation aura pour but principal d’éviter que les débiteurs ne fassent un usage abusif de la procédure de faillite pour échapper à leurs obligations, et portent ainsi préjudice à d’autres entreprises en leur livrant une concurrence déloyale5. Elle impliquera également la modification de plusieurs textes légaux, dont notamment le Code des obligations (CO), la Loi fédérale sur l'impôt fédéral direct (LIFD) ou encore l’Ordonnance sur le registre du commerce (ORC). Dite modification du CO contiendra justement l’introduction de la nullité de ces opérations. Par ailleurs, et dès lors qu’aucun référendum n’a été requis à l’encontre de ces révisions, leur entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier 20246.
On ne peut voir que d’un bon œil la restriction des abus, mais on ne saurait néanmoins être entièrement satisfait du système développé
A compter de cette date, les nouvelles dispositions qui figureront aux art. 684a (SA) et 787a nCO (Sàrl) impliqueront que les transferts d'actions ou de parts sociales de sociétés surendettées, sans activité commerciale, ni actifs réalisables, seront nuls de plein droit et ainsi inefficaces7. Au-delà de cette révision, ce sont ses implications dans le cadre des textes voisins qui nous intéresseront. En effet, elle engendrera un effet domino, nécessitant des autorités, dont le Registre du commerce (RC) et ses préposés, d’être en mesure de distinguer les transferts de manteaux d’actions, visant à éluder les dispositions légales, de simples opérations commerciales de restructuration, ne devant et ne pouvant faire l’objet de restrictions, sous peine de venir limiter la liberté commerciale.
Ainsi, la modification à venir de l’ORC codifiera les cas jurisprudentiels donnant lieu à des soupçons de ventes de manteaux d’actions (art. 65a al. 1 nORC). De la sorte, le RC s’y référera afin de déterminer les transferts devant être déclarés nuls8. En ce sens et de manière non exhaustive, seront considérés indices d’un tel transfert, la modification simultanée ou successive de la raison sociale ou du but de la société, le transfert de siège et/ou le changement des organes de celle-ci, tout particulièrement la modification des membres du Conseil d'administration (let. a)9. En outre, constitueront également la base de tels soupçons, les cas de récidive, tant lorsqu’une personne, que le nouveau siège déclaré auront déjà fait l’objet d’un cas de nullité par le passé (let. b et c)10. Dans l’hypothèse de l’existence de tels soupçons, le RC sera légitimé à requérir les comptes annuels de l’entité concernée, respectivement son rapport de révision (al. 2) afin de rendre une décision formelle (al. 3)11.
En définitive, on ne peut voir que d’un bon œil la restriction des abus, par la nullité de transferts n’ayant pour finalité que d’éluder les règles en place. On ne saurait néanmoins être entièrement satisfait du système développé. Il faut en effet considérer certains «soupçons» comme insuffisants, seuls, à établir un transfert de manteau d’actions. En ce sens, il ne serait notamment pas choquant qu’une société, simultanément, change son siège et sa raison sociale, sans motifs frauduleux (en cas de reprise de l’entité par un entrepreneur établi dans une autre région linguistique par exemple). Ainsi, plane le risque d’un contrôle excessif et quelque peu arbitraire de l’autorité. Dans l’attente du développement d’une pratique établie par le RC, il s’agira d’espérer un traitement au cas par cas, privilégiant les circonstances concrètes et globales, aux simples soupçons. Toutefois, l’espoir d’un tel procédé, spécifique à chaque structure, constitue également les limites du système élaboré; aux fins de pouvoir réaliser un contrôle pertinent, ne sanctionnant que les abus, le RC devra dorénavant y consacrer un temps considérable. Dès lors qu’aucune nouvelle autorité n’est prévue et qu’aucune existante ne sera renforcée12, l’on se confronte, à court terme, à une lourde surcharge de l’autorité, impliquant sans doute l’avènement de suspensions provisoires généralisées des inscriptions et retardant l’entier du système. C’est selon notre appréciation sous cet angle que cette réforme, devant globalement être qualifiée de bénéfique, pourrait devenir un serpent, ayant le fâcheux défaut de se mordre la queue.
1 Arrêt du tribunal fédéral 2C_176/2008, du 26 août 2008, c. 5.1. )
2 bidem.
3 TaxInfo Canton de Berne, Vente d'un manteau d'actions – Liquidation de fait par transfert des droits de participation à des tiers - TaxInfo - Canton de Berne, 14 juin 2011 et les arrêts cités, consulté le 30 août 2023.
4 RDAF 2000 II 227, c. 4b.
5 Expert Suisse, Rétrospective sur la session d’hiver 2021,Retrospective_sur_la_session_dhiver_2021.pdf, 17 décembre 2021.
6 Admin.ch, Lutte contre l’usage abusif de la faillite (admin.ch), Rapport explicatif relatif à l’ouverture de la procédure de consultation, Berne, 25 janvier 2023, pp. 2, 3 et 16.
7 Ibidem, p. 2.
8 Admin.ch, Lutte contre l’usage abusif de la faillite (admin.ch), Rapport explicatif relatif à l’ouverture de la procédure deconsultation, Berne, 25 janvier 2023, pp. 3 et 4; Avant-projet del’Ordonnance sur le registre du commerce (ORC). Avant-projet (admin.ch) (ci-après : « Avant-projet »), ad art. 65a nORC, voir également Arrêt du tribunal fédéral 2C_176/2008, du 26 août 2008, c. 5.
9 Art. 65a al. 1 let. a nORC (Avant-projet)(pour la Sàrl, voir art. 83 nORC);
10 Art. 65a al. 1 let. b et c nORC (Avant-projet)(pour la Sàrl, voir art. 83 nORC) ;
11 Art. 65a al. 2 et 3 nORC (Avant-projet)(pour la Sàrl, voir art. 83 nORC) ;
12 Admin.ch, Lutte contre l’usage abusif de la faillite (admin.ch), Rapport explicatif relatif à l’ouverture de la procédurede consultation, Berne, 25 janvier 2023, p. 15.