Depuis mai 2020, Avenir Suisse, le think tank libéral qui «développe des idées pour le futur de la Suisse», a un nouveau président en la personne de Michel Liès. Cet homme d’affaires luxembourgeois est également, depuis avril 2018, président des conseils d’administration de Zurich Insurance Group et de Zurich Compagnie d’Assurances. Auparavant, cet ancien de l’EPFZ, a travaillé pendant près de 40 ans pour Swiss Re, notamment en tant que CEO de 2012 à 2016. C’est dans les bureaux zurichois d’Avenir Suisse qu’il a reçu L’Agefi.
Durant votre présidence prévue pour trois ans (rééligible une fois), quelles sont les grandes impulsions que vous souhaitez donner à votre think tank?
D’une manière générale, je mettrai un point d’honneur à encore mieux réconcilier la population avec le monde des affaires. Mon but est également de contribuer à perpétuer les qualités suisses qui ont fait le succès de ce pays. Mais les critères de succès du passé ne sont pas ceux du futur. Il faut donc faire preuve d’ouverture et, dans ce contexte, Avenir Suisse a un rôle important à jouer.
Qu’est-ce que la Suisse devrait améliorer en priorité?
Je pense que l’engagement politique de la Suisse au niveau international pourrait être plus marqué, notamment en ce qui concerne le projet européen. Le fait d’être originaire du Luxembourg a sans doute une influence sur ma position. Le Luxembourg est un petit pays qui a souffert des deux guerres mondiales. Comme le projet européen est à la base un projet de paix, le Luxembourg y a adhéré avec beaucoup d’enthousiasme pour contribuer à éviter les conséquences désastreuses d’une Europe divisée.
Est-ce que cela signifie que vous êtes en faveur d’une adhésion de la Suisse à l’Union Européenne?
Je ne le formulerai pas en ces termes. Le peuple suisse a clairement refusé l’adhésion à l’Union européenne et la voie bilatérale est donc la seule solution possible. Je préfère parler, plus généralement, du «projet européen». Je constate que les Etats-Unis et la Chine sont les blocs économiques qui progressent. Et nous les Européens, au milieu de tout cela, nous sommes réduits à compter les points marqués par ces deux blocs. Nous devons donc trouver un moyen de nous élever à leur hauteur.
En Suisse, vous avez principalement vécu outre-Sarine. Que pensez-vous de la Suisse latine?
La Suisse est un petit pays qui a le dynamisme d’un grand pays.
Et la Suisse romande a un certain côté californien, principalement grâce à Patrick Aebischer et au développement fulgurant de l’EPFL La diversité des régions est clé pour le succès de la Suisse. C’est une recette qu’il faut perpétuer.
Eviter le mariage périlleux entre libéralisme et élite
Comment mesurez-vous le succès d’Avenir Suisse?
Notre niveau de visibilité, notre influence dans les débats et la facilitation des réformes sont des critères clés. Un autre élément essentiel est l’enthousiasme et la qualité de notre équipe opérationnelle; sur ce plan, je suis chanceux car je bénéficie du travail effectué par mon prédécesseur Andreas Schmid. De par sa carrière, ce dernier est bien plus un entrepreneur que moi et c’est aussi grâce à lui qu’Avenir Suisse a aujourd’hui une équipe opérationnelle de rêve, passionnée et sans tabou. Plus généralement, je dirais que le succès à long-terme de la Suisse est la mesure la plus importante du succès d’Avenir Suisse.
Selon votre rapport annuel, Avenir Suisse est couvert par la presse environ 2300 fois par an. Néanmoins, vous ne faites pas de distinctions entre les grands et les petits médias …
Pour toucher et convaincre un maximum de personnes, nous devons être présents non seulement dans des grands médias libéraux du type NZZ mais également dans la presse très locale. Je dirais même qu’il est spécialement important d’être couvert par tous les médias, même ceux qui ne sont pas de notre bord.
La présence d’Avenir Suisse sur les réseaux sociaux est plutôt modérée. En outre, vous n’êtes pas personnellement actifs sur ces réseaux …
Ce n’est pas tout à fait correct. Sur Twitter, Avenir Suisse compte environ 13.000 «followers», parmi lesquels de nombreux journalistes et politiciens.
Cependant, les réseaux sociaux tendent à encourager des messages extrêmement courts et des idées simplistes. A mon avis, on ne peut pas aborder des problèmes complexes de cette manière. C’est aussi pour cela que nous misons beaucoup sur notre newsletter, un instrument clé et très efficace.
Personnellement, je ne suis pas présent dans les réseaux sociaux parce que, du haut de mes 66 ans, je ne me sens pas obligé de m’adonner à quelque chose que je ne sens pas vraiment.
Avenir Suisse est ouvertement libéral. Est-il possible de convaincre le plus grand nombre lorsque qu’une frange de la population vous perçoit comme trop dogmatique?
A vrai dire, le fait d’être ouvertement libéral ne me dérange pas du tout car c’est bien le libéralisme qui a fait le succès de la Suisse et nous n’avons donc pas à en rougir. Le mot libéral a pour moi une connotation très positive.
Je ne conçois pas que l’on puisse être opposé au libéralisme pour autant que ce libéralisme s’accompagne d’une égalité des chances; par contre, il faut absolument éviter le mariage périlleux entre libéralisme et élite.
Le conseil de fondation que vous présidez compte une quarantaine de membres. Est-ce que ce conseil est avant tout un club de grands donateurs?
Comme notre organisation est d’obédience libérale, je trouve normal que la plupart de nos grands donateurs soient proches du monde des affaires et qu’ils soient représentés dans notre conseil de fondation.
Comment sélectionnez-vous les thèmes de vos études?
Les thèmes sont définis et sélectionnés par notre équipe opérationnelle, puis discutés au sein de notre conseil de fondation, en particulier par notre comité directeur. Notre commission des programmes assure ensuite le suivi méthodologique et qualitatif.
Sur la base de mon expérience en tant que membre du conseil de fondation, l’identification des thèmes se fait sur la base de débats constructifs. Je n’ai jamais vécu des cas de veto ou de censure, même si plusieurs rapports n’ont pas été dans le sens de certains de nos donateurs. En fin de compte et dans l’ensemble, tout le monde profite de notre engagement en faveur d’un marché libéral efficace. Nos donateurs le comprennent bien.
Quelles sont les différences entre vos rapports et ceux publiés par des organisations comme economiesuisse, McKinsey ou les universités?
Le choix de nos vingt-cinq publications annuelles ne suit pas une logique commerciale. Fondamentalement, elles sont le fruit d’envies et de convictions de notre équipe opérationnelle. Cette dernière est caractérisée par un mariage non naturel entre libéralisme et jeunesse. Nos plus jeunes employés ne restent d’ailleurs chez nous que quelques années avant de faire carrière dans le monde des affaires ou de la politique.
J’apprécie beaucoup les rapports des autres organisations que vous avez mentionnées. Néanmoins, leur approche est différente car leurs études sont souvent rédigées dans le cadre de (futurs) mandats alors qu’Avenir Suisse jouit d’une indépendance complète.
Votre budget pour l’année 2019 s’est élevé à CHF 5.5 millions. Serez-vous à même de le maintenir malgré la pandémie?
Certainement car ce n’est pas le bon moment pour réduire notre budget. En temps difficiles, la voix forte, convaincante et libérale d’Avenir Suisse est particulièrement nécessaire. En outre, nous disposons d’une assise financière solide.
Votre équipe opérationnelle compte 35 employés dont cinq en Romandie et aucun en Suisse italienne. Parmi les huit membres de votre direction, on trouve une femme …
Concernant la diversité, nous avons encore du travail à faire même si je ne suis pas obsédé par la parité des genres car il y a aussi d’autres types de diversité dont il faut tenir compte. Mais, sur la base de mon expérience de président du conseil d’administration de Zurich Assurances, je suis convaincu que la diversité est positive.
Le risque est de polariser les générations
Concernant la lutte contre le Covid-19, si vous aviez été à la place du Conseil fédéral, qu’auriez-vous fait différemment?
En général, je suis d’avis que le collège gouvernemental a agi assez brillamment en tirant parti de ses prérogatives extraordinaires pendant quelques semaines. Bien sûr, on peut discuter à l’envi sur le timing du début des mesures fortes. Ou sur la politique des masques qui a été basée sur des critères mi-politiques et mi-scientifiques...
En tant que libéral, auriez-vous préféré une absence totale de confinement, à l’instar de la politique suivie par la Suède?
Je pense au contraire que la combinaison d’aides économiques urgentes et de semi-confinement a été positive en Suisse. Je ne vous cache pas que je suis choqué d’entendre ceux qui prétendent qu’il ne fallait pas mettre à mal l’économie pour rallonger un peu la vie de vieillards déjà malades. A mon sens, le plus grand risque est de polariser les générations.
La loi suisse permet au Conseil fédéral de bénéficier de compétences extraordinaires en cas d’épidémie. Quel est votre regard sur cette disposition?
Ces prérogatives exceptionnelles ne m’ont pas dérangé outre mesure, peut-être à cause de mon éducation jacobine en France. En même temps, il faut reconnaître qu’il existe toujours un risque de dérive dans le sens où les personnes qui reçoivent un pouvoir extraordinaire peuvent être tentées de le conserver le plus longtemps possible. A vrai dire, j’ai quand même été étonné par le manque général de réaction – y compris de la presse – face au pouvoir étendu du Conseil fédéral.