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Les Suisses ne combleront pas le manque de clients étrangers dans les stations de ski

Pour cet hiver, les hôteliers de montagne escomptent une baisse de leur chiffre d’affaires d’un quart au mieux. Et à condition que le coronavirus ne gagne pas en ampleur.

Gstaad. Les rues de la station de l’Oberland bernois risquent d’être bien vides cet hiver. En temps normal, son palace y accueille
70% de clients internationaux. Les touristes locaux ne compenseront pas entièrement cette absence
Gstaad. Les rues de la station de l’Oberland bernois risquent d’être bien vides cet hiver. En temps normal, son palace y accueille 70% de clients internationaux. Les touristes locaux ne compenseront pas entièrement cette absence
24 septembre 2020, 17h40
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«La situation n’est pas encore catastrophique mais elle est proche de l’être.» Les propos de Stefan Ludwig, directeur adjoint des ventes au Palace de Gstaad, résument bien l’ambiance. «Pour certains hôtels, c’est dramatique. Notre industrie est une industrie comme les autres: l’incertitude est synonyme de pain noir. L’évolution dépendra de facteurs à la fois économiques et politiques. Cela devient très compliqué», confirme Patrick Bérod, directeur de l’Association hôtelière du Valais. Pour cet hiver, les hôteliers de montagne escomptent une baisse de leur chiffre d’affaires d’un quart, dans le meilleur des cas. «Bien sûr que nous nous inquiétons pour l’avenir de notre branche. Nous nous attendons à ce que la saison hivernale soit plus difficile que celle d'été», poursuit Stefan Ludwig.

Un deuxième semi-confinement fatal

«A l’heure actuelle, l’état des réservations est mauvais car les clients sont dans l’expectative. Ils décident à la dernière minute. Un deuxième ‘lockdown’ serait fatal», ajoute Christophe Hans. Le responsable de la communication d’Hotelleriesuisse prévoit des faillites. «On a tendance à dramatiser, à juste titre, la situation des hôteliers de plaine et à embellir celle de ceux de montagne. Oui, ces derniers ont réussi à tirer leur épingle du jeu cet été. Néanmoins, ils subissent une diminution de leurs nuitées. Ils ne peuvent pas continuer à ce rythme sinon bon nombre d’entre eux mettront la clé sous le paillasson», poursuit Sergei Aschwanden, directeur général de l’association touristique de la Porte des Alpes qui rassemble les communes de Bex, les Diablerets, Gryon et Villars. Pour éviter les faillites, Hotelleriesuisse demande que les hôtels fortement touchés par la pandémie bénéficient, dès l’an prochain, d’un abandon de remboursements des crédits Covid-19.

Pas de touristes extra-européens

Pour la saison hivernale, Christophe Hans n’espère pas beaucoup de clients étrangers. «En dehors de l’Europe, il n’y en aura tout simplement pas», déplore-t-il. Suisse Tourisme table sur un redémarrage, en 2021, pour les marchés français et allemand. Pour l’Autriche et l’Italie, ce ne sera pas avant 2022. Les Asiatiques devraient, eux,  à nouveau répondre présents en 2023 seulement. Aux yeux de l’hôtelier à Crans-Montana Jean-Daniel Clivaz, une mise sur liste rouge de la Suisse serait désastreuse. «Il faudra aussi que la situation sanitaire de nos voisins soit bonne à l’orée de l’hiver», avertit-il. D’après Patrick Bérod, la clientèle suisse ne compensera pas le manque d’étrangers. «En Valais, nous avons des petites stations positionnées sur le marché helvétique comme le Lötschental et la Vallée de Conches. Pour elles, la saison devrait être favorable. Par contre, ce sera beaucoup plus compliqué pour Verbier, Saas-Fee et Zermatt tournées sur une clientèle plus internationale», précise-t-il. A Gstaad aussi, les touristes locaux ne compenseront pas entièrement le manque d’hôtes étrangers. En temps normal, le palace de la station bernoise accueille 70% de clients internationaux. Selon Jean-Daniel Clivaz, les Suisses remplaceront la clientèle étrangère durant les vacances scolaires. «Pendant la saison creuse, cela sera plus  difficile. Les retraités représentent toutefois un fort potentiel», estime-t-il. Au cours de la dernière saison d’hiver, les touristes étrangers ont généré 8,8 millions de nuitées, d’après l’Office fédéral de la statistique (OFS). Les hôtes indigènes en ont, eux, représenté 7,9 millions.

Pas question de fermer

Dans ce contexte morose, est-ce que cela vaut encore la peine de maintenir les hôtels ouverts? Oui, répondent les hôteliers interrogés. «Une fermeture implique toujours des frais fixes comme le chauffage, la maintenance et la surveillance de l’établissement», fait remarquer Christophe Hans. En termes marketing, ce n’est de loin pas la solution idéale. «Etant fermé, vous ne générez plus de revenus donc vous n’êtes plus intéressant pour les plateformes de réservations en ligne et vous sombrez dans leurs classements. Il est ensuite très dur de remonter la pente», explique Christophe Hans. Un avis partagé par Patrick Bérod: «Vous perdez des marchés en cessant de travailler. Or reconquérir ces marchés prend énormément de temps.»

Un tourisme plus doux

Une fermeture implique aussi de licencier les employés de l’établissement, avec des frais de recrutement importants à la réouverture. «Actuellement, le chômage partiel permet une gestion de son personnel souple et flexible. Cela vaut la peine de rester ouvert», affirme Patrick Bérod. Même son de cloche du côté de Gstaad: si la pandémie nécessite la mise sur pied de plans de sécurité stricts qui ont un coût, le jeu en vaut la chandelle. Patrick Bérod ne perd d’ailleurs pas espoir. «Nous travaillons déjà à l’après Covid.» L’avenir du tourisme? «Des circuits courts avec des produits authentiques», conclut le Valaisan.

Gérer les plans de protection, et le risque d’un faible enneigement

Pour Sergei Aschwanden, le plus important désormais serait de connaître les directives pour lutter contre la propagation du virus qui concerneront les remontées mécaniques, aux niveaux fédéral et cantonal. «Ces mesures influenceront directement le comportement des clients», estime le directeur général de l’association touristique de la Porte des Alpes. L’association regroupe les communes de Bex, les Diablerets, Gryon et Villars, soit un total de plus de 120 kilomètres de pistes. Les skieurs devront-ils mettre un masque dès qu’ils prennent le télésiège? Sergei Aschwanden l’imagine mal. «Il nous faut disposer d’informations claires, rapidement, pour construire nos stratégies en retour», souligne-t-il. Au sujet du comportement de la clientèle toujours, si en été les touristes peuvent s’installer en terrasse, en hiver, c’est plus difficile. «Toute la question est là: savoir si les skieurs se sentiront à l’aise dans des lieux fermés», poursuit Christophe Hans d’Hotelleriesuisse.

Concepts sécuritaires dans les hôtels

Les établissements hôteliers disposent, eux, de leurs propres plans de protection depuis plusieurs mois. «La police est venue faire une inspection dans mon hôtel ce printemps afin de vérifier notre concept sanitaire. Nous avons passé cet audit. Cela nous donne confiance pour cet hiver», explique le directeur du Royalp à Villars-sur-Ollon, Markus Marti. Lui-même a travaillé longtemps au Moyen-Orient, région  trop souvent cible d’attaques terroristes: «J’ai notamment vécu le drame de Luxor. D’un jour à l’autre, nous n’avons plus eu de clients durant six mois». Il est donc un habitué de la gestion du risque et des crises. Autre facteur décisif pour cet hiver: la neige. «Nous avons été chanceux ces deux ou trois dernières saisons mais il faut que la neige arrive. Tôt, si possible», indique Sergei Aschwanden. Encore un paramètre impossible à maîtriser. Markus Marti espère également que les premiers flocons tomberont fin novembre. Le Royalp réalise environ 60% de son chiffre d’affaires entre Noël et Pâques. Pour être le moins possible dépendant de la neige, le patron et son équipe ont mis en place un programme d’animations qui passe par la randonnée, le yoga en pleine nature, le golf et le spa. Sans oublier la gastronomie. Notre défi? «Etre le moins dépendants possible de la météo», abonde Jean-Daniel Clivaz. D’après lui, il convient de se doter d’une stratégie tarifaire qui favorise l’achat anticipé grâce à des prix plus bas. Avec cette stratégie qui récompense les clients qui achètent tôt, les stations se prémunissent contre le risque d’une mauvaise météo et de l’absence de neige.

Entre investissements et opportunités

Pour pénétrer davantage le marché domestique qui représente 45% de ses clients, le Royalp a aussi passablement investi dans le marketing et effectué plusieurs promotions qui ciblent notamment les millennials (NDLR:  la génération des 20 et 40 ans car, par définition, ils sont nés entre 1980 et 1999), une clientèle peu habituée aux cinq étoiles. Son directeur entrevoit d’ailleurs la crise actuelle comme une opportunité pour développer ses affaires et diversifier sa clientèle: «Je reste positif. Les Suisses auront envie de voyager cet hiver.» D’après lui, c’est en période de crise qu’il faut investir. C’est là aussi que les meilleures équipes se créent. Selon Jean-Daniel Clivaz, travailler avec une clientèle locale présente également ses avantages. Les Suisses possèdent un pouvoir d’achat plus élevé qu’ailleurs. Ils ont aussi la possibilité de venir rapidement sur leur lieu de séjour du fait de distances raccourcies. –(MB & SM)