L’arrivée de vaccins contre le Covid-19 résulte d’une performance exceptionnelle. C’est l’avis de Jean-Paul Clozel, le CEO et le co-fondateur, avec son épouse Martine, d’Idorsia à Allschwil (BL). Il connaît Moncef Slaoui, le directeur scientifique de l’opération Warp Speed ainsi que chercheur en immunologie et en biologie moléculaire. Les deux hommes ont travaillé ensemble chez GSK. L’année 2020 a donné un grand coup d’accélérateur au secteur de la santé. La société biopharmaceutique qu’il dirige et qui emploie plus de 800 personnes connaît une évolution positive, comme il l’explique à L’Agefi.
Les premières vaccinations contre le Covid-19 arrivent maintenant en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Est-ce à dire que le plan Warp Speed mis en œuvre par Donald Trump est une grande réussite ?
Ce succès est dû en premier lieu à Moncef Slaoui qui connaît remarquablement bien le domaine des vaccins. Il a dirigé ce plan de façon exemplaire. Grâce à cela, le monde entier disposera de vaccins qui permettront de maîtriser le Covid-19. Les risques ont été répartis intelligemment entre trois technologies : ARNm, protéines et vecteurs viraux. Les Etats-Unis ont à disposition les meilleurs scientifiques, dont les infectiologues et virologues. Certes, il va falloir désormais résoudre les problèmes de distribution, mais ceux-ci sont moins ardus que de mettre au point un vaccin efficace et de le produire.
Pourtant des critiques s’élèvent contre ces vaccins et leurs risques. Ils seraient plutôt une thérapie génique…
Ces critiques sont avant tout pseudo-scientifiques, tout en faisant l’objet de «fake-news». Cela est dangereux et crée la confusion au sein de la population, auprès de personnes qui n’ont pas une information médicale. En réalité, les moyens extraordinaires qui ont été déployés s’avèrent efficaces, tandis que les tests ont été rigoureusement menés. Ces vaccins offrent la possibilité de sauver des millions de personnes et un retour progressif à une situation normale de la société et de l’économie mondiale. Représentez-vous ce qui se serait passé s’il y avait eu un vaccin lors de la grippe espagnole en 1918. Imaginez aussi ce que serait l’état de l’économie mondiale sans vaccin. A mon sens, l’année 2020 aura été celle du triomphe de la science.
Qu’est-ce que la pandémie aura changé ?
Beaucoup de choses auront changé, notamment l’accélération de la télémédecine qui modifie la manière dont les médecins interagissent avec leurs patients, avec des dispositifs innovants, en termes de tests, d’auto-injecteurs, etc.
Le secteur des vaccins ne paraissait plus très attractif pour plusieurs groupes pharmaceutiques avant la pandémie de la Covid-19. Novartis a par exemple vendu cette activité en 2014. Comment le jugez-vous aujourd’hui?
On est toujours plus intelligent après-coup ! Le risque de pandémie a été largement sous-estimé jusqu’à un passé récent. La difficulté des vaccins est celle des cibles et c’est un secteur très compétitif, avec des méthodologies qui sont vite copiées. Le coronavirus a assurément remis au premier plan les risques que constituent les maladies infectieuses à travers la mobilité dans le monde. Les nouvelles technologies ARN laissent par ailleurs préfigurer des applications dans de nouveaux champs thérapeutiques.
Idorsia est actif dans d’autres domaines thérapeutiques que celui des vaccins. N’est-ce pas un regret aujourd’hui ?
Détrompez-vous, nous avons un petit groupe de personnes actif dans le domaine des vaccins contre les microbes. Idorsia possède Vaxxilon, une start-up qui opère dans le domaine de des vaccins synthétiques de glucides, et a été créée par Actelion ensemble avec l’Institut Max Planck près de Berlin. C’est une nouvelle classe de vaccins qui recèle le potentiel de devenir une réalité commerciale. D’autre part, Idorsia a quelques produits antibiotiques qui visent des microbes résistants. Nous essayons de savoir s’ils peuvent être utiles, mais le problème est que les Etats ne veulent pas payer un juste prix pour ce genre d’innovation. Ce qui explique pourquoi il n’y a pas eu de grande découverte dans le domaine des antibiotiques depuis longtemps.
Le pipeline d’Idorsia est diversifié. Est-ce un avantage considérable ?
Nous le pensons, avec l’atout d’opérer dans des domaines thérapeutiques qui renferment un énorme potentiel, mais qui sont occultés à présent par le Covid-19. Tout le monde est obnubilé par ce dernier, ce qui revient à négliger par exemple les risques liés à l’hypertension ou aux problèmes cardio-vasculaire tel que l’anévrisme. Il existe en particulier 10 millions de personnes qui souffrent d’hypertension aux Etats-Unis non contrôlées. 40 millions de personnes y sont par ailleurs atteintes d’insomnie. Or, nous avons développé des produits qui traitent de ces problèmes et sont en phase trois, ou au stade d’homologation s’agissant du Daridorexant qui améliorera considérablement le traitement de l’insomnie. Nous essayons de ne pas suivre les modes et de nous concentrer sur des produits disruptifs.
Quand le Daridorexant sera-t-il lancé et en quoi se distingue-t-il des médicaments existants ?
Il sera commercialisé à partir de 2022, à un moment où, espérons-le, nous serons débarrassés du Covid. Il n’existe pas de nouveaux mécanismes de traitement de l’insomnie en Europe depuis des années. Nous avons réduit la durée l’action du comprimé Daridorexant sur les récepteurs concernés du cerveau, à sept à huit heures. Ce qui permettra d’éviter les effets secondaires, notamment une somnolence le lendemain avec tous les risques que cela comporte, généralement observés avec les médicaments actuels.
Un chiffre d’affaires de 5 milliards de francs et un cash-flow considérable sont-ils réalisables à terme ?
Le pipeline a un potentiel de 5 milliards. Idorsia se trouve sur la bonne voie pour le concrétiser, en particulier la première étape que représente Daridorexant. Dans le domaine de l’hémorragie cérébrale subarachnoïdienne d’origine anévrismale, Clazosentan, l’antagoniste des récepteurs de l’endothéline, se montre très efficace. Il est en en phase clinique 3. Dans la gestion de l’hypertension résistante, l’année 2022 sera très importante pour Aprocitentan, qui se situe également en phase 3. Tous les programmes avancent. Nous avons déjà reçu une série de résultats positifs avec le Daridorexant et le Clazosentan au Japon. Les premiers revenus seront issus du Daridorexant et du Ponesimod.
Qu’est le Ponesimod ?
Il s’agit d’une substance active contre la sclérose en plaque récidivante, dont la demande a été déposée auprès des autorités pour l’homologation, et qui montre une supériorité face à un médicament très utilisé. Idorsia a un accord de distribution de revenus avec Johnson & Johnson et Actelion qui fait partie du groupe américain aujourd’hui.
Qu’est-ce qui différencie Idorsia des autres sociétés biopharmaceutiques ?
Nos produits sont issus de l’innovation de biologistes, chimistes et chercheurs. Nous essayons d’attirer les meilleurs talents provenant des écoles polytechniques fédérales et des universités dans les domaines de la biologie moléculaire et de la biochimie. Idorsia a pour but de trouver des nouveaux médicaments qui ont le potentiel de changer considérablement les options de traitement dans les maladies que nous ciblons.
Sur quel type de molécules se concentre Idorsia ?
Le focus est sur la découverte et le développement de petites molécules issues de la chimie organique. A cet effet, nous employons l’intelligence artificielle et une informatique de recherche pleinement intégrée. Nous disposons de chimiothèques et d’un criblage à haut débit. Nous utilisons des méthodes validées telles que la chimie, une technologie qui est loin d’être finie. Idorsia est une entreprise d’innovateurs. Le marketing et l’infrastructure commerciale s’adaptent à cette culture innovante.
Quels sont les facteurs de risque ?
Grâce à nos résultats les risques du pipeline ont été diminués. Nous avons besoin maintenant d’un succès commercial sur le marché. Nous avons mis sur pied une excellente équipe sous la direction de Simon Jose, notamment aux Etats-Unis.
La culture est-elle entrepreneuriale ?
Oui. Notre organisation est très flexible. Chaque personne peut avoir une influence sur le devenir de la compagnie. Le droit à l’erreur fait partie de la culture d’Idorsia.
Idorsia peut-elle connaître une réussite comparable à celle d’Actelion ?
Je suis même plus positif que chez Actelion quand je regarde le développement d’Idorsia. Aux débuts d’Actelion, nous n’étions que quatre personnes, dont mon épouse et moi-même. Idorsia, c’était une des conditions de la vente d’Actelion à J&J, a pu reprendre toute une équipe, en ayant conservé les emplois, ce dont nous sommes fiers. En fait, Idorsia, qui a trois ans d’âge, bénéficie de 15 à 20 ans de recherche. C’est un énorme avantage qui nous a permis de corriger les échecs du passé et d’optimiser en particulier les doses dans les domaines du sommeil et de l’hypertension artérielle non contrôlée, qui sont deux maladies de civilisation.
Allez-vous demeurer actionnaires d’Idorsia encore longtemps ?
Avec mon épouse, nous avons même augmenté notre participation à près de 30% récemment. Nous comptons bien accompagner Idorsia jusqu’à ce que cette entreprise devienne adulte. Trop souvent, des biotech sont rachetées ou absorbées trop tôt, avant qu’elles aient pu exprimer leur potentiel. Si Roche ou Novartis sont ce qu’elles sont aujourd’hui, c’est grâce à des actionnaires familiaux qui ont permis de préserver leur indépendance.
Jean-Paul Clozel en cinq dates
1955 Naissance le 3 avril. De nationalité suisse et française.
1985 Responsable du groupe de découverte de nouveaux médicaments du département cardiovasculaire de Roche.
1997 Création d’Actelion avec notamment son épouse Martine Clozel.
2017 Vente en janvier d’Actelion à Johnson & Johnson pour 30 milliards de dollars.
2017 Lancement en juin d’Idorsia, toujours avec sa femme, après avoir repris le pipeline de recherche d’Actelion.