Sophie Marenne
L'Agefi - Journaliste
28 septembre 2020, 2h19
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Existe-t-il un génie suisse de l’innovation? Rien n’est moins sûr. Le professeur de finance à l’Institute for Management Development (IMD) Arturo Bris argue que l’inventivité ne se trouve pas dans les gènes d’une population mais elle naît de ses besoins. «L’une des caractéristiques des peuples innovants est qu’ils sont forcés d’exceller d’une façon ou d’une autre. Leur environnement est peu clément que ce soit l’ombre d’un voisin puissant, un territoire sans matières premières ou un contexte géopolitique difficile. A l’image des économies les plus innovantes à ce jour: Singapour, le Danemark, les Pays-Bas, Israël ou la Jordanie.»
La Suisse n’a d’ailleurs pas toujours été une terre d’innovation. Arturo Bris se souvient de l’époque où ses collègues ont lancé leur premier classement de compétitivité mondiale, il y a 30 ans: le territoire était loin de figurer parmi les bons élèves. «En quelques années, le pays est passé du 25e rang au podium de tête. Ce décollage soudain s’est effectué dans les années 90», indique-t-il.
Aujourd’hui, la Suisse se trouve au troisième rang du classement de l’IMD, derrière Singapour et le Danemark. Un score proche de celui attribué par le Forum économique mondial (WEF). Dans son indice annuel de compétitivité, la Suisse est cinquième, derrière Singapour, les États-Unis, Hong Kong et les Pays-Bas.
En tant que directeur du Centre mondial de la compétitivité de l’IMD, Arturo Bris avance trois facteurs pour expliquer cette progression: les capitaux, la réglementation et les talents. «Ce sont sur ces deux derniers points que la Suisse a le plus progressé, commente-t-il. Le pays a construit une régulation à la fois permissive et protectrice. Quant aux talents, ils se sont épanouis suite au renforcement du système éducatif.» «Je ne peux qu’en témoigner, étant moi-même passée par les bancs des Ecoles polytechniques de Zurich et Lausanne (EPFZ et EPFL): ce sont des instituts chefs de file dans de nombreuses disciplines», renchérit sa collègue Louise Muhdi, professeure d’innovation et stratégie à l’IMD.
La Confédération helvétique occupe effectivement une position prépondérante dans la recherche. «Publications scientifiques, dépenses, établissements de classe mondiale... Sous cet angle, l’Etat est dans le top cinq international depuis près d’une vingtaine d’années», note Roberto Crotti, senior economist, Centre for the New Economy and Society du WEF. Mais l’économiste nuance son propos: «Il y a une part d’ombre du côté de la formation suisse. Oui, le pays est très attractif pour les talents internationaux. Mais en termes de culture de sa propre main-d’œuvre qualifiée, il est moins bien classé. A la 30e position seulement au regard du nombre moyen d’années d’enseignement.»
Roberto Crotti juge que si le système éducatif suisse fonctionne bien, des incitations doivent néanmoins être instaurées pour pousser les étudiants à atteindre des degrés d’éducation plus élevés. Et ce, aussi du côté «des profils opérationnels.
En effet, les découvertes et améliorations techniques que les travailleurs mettent au point au quotidien sont essentielles pour gagner en productivité et en innovation».