Après l’hôtel Richemond en juillet, ce fut au tour de l’Atrium à Genève et des deux Swissôtel à Zurich et à Bâle de fermer leurs portes en novembre. Si l’effondrement de la demande provoqué par la crise du coronavirus frappe principalement l’hôtellerie des zones urbaines, les perspectives restent sombres pour toute une industrie, qui sortait d’une année record (39,6 millions de nuitées). Le manque de liquidités de beaucoup d’hôteliers complique leur gestion de la crise et de leur personnel pour l’aider, dans le pire des cas, à trouver un nouvel emploi. Christophe Hans, responsable des affaires publiques pour HotellerieSuisse le reconnaît: «Alors qu’il faut assurer la survie de leur établissement, la formation n’est pas la priorité des hôteliers.»
La Fondation pour la formation professionnelle et continue (FFPC) à Genève confirme n’avoir reçu aucune demande de l’industrie. «Le soutien à l’hôtellerie a été faiblement sollicité par les associations professionnelles. Aujourd’hui, la priorité est la mise en place de mesures de reconversion, afin d’éviter un niveau de chômage cantonal élevé. Mais qui se saisira de la responsabilité d’anticiper les solutions pour les employés du secteur?», s’interroge Sabrina Cohen Dumani, directrice de la FFPC.
Débouchés dans la santé
Une partie de la réponse se trouve du côté des employeurs. C’est la conclusion du rapport The Future of Jobs 2020 publié cet automne par le Forum économique mondial: les entreprises les plus compétitives seront celles ayant investi massivement dans les qualifications et les compétences de leurs employés. Une autre partie de la solution de l’employabilité est attendue des autorités publiques. A Genève, la nouvelle task force employabilité du Conseil d’Etat réfléchit aux solutions de reconversion pour les secteurs confrontés à des changements durables (hôtellerie et tourisme en général). Et Sabrina Cohen Dumani d’ajouter: «La santé est un débouché intéressant pour les spécialistes de l’accueil issus des cas de rigueur comme l’hôtellerie.» Dans ce secteur, le taux de chômage (9,6%) dépasse largement la moyenne nationale (3,2%). Genève (14,7%) et Zurich (13,2%) sont particulièrement touchées.
Mutation des modèles
La forte fragmentation du marché hôtelier dominé à 75% par les indépendants a ralenti son processus d’innovation. «En Suisse, seuls 6% des hôtels sont structurés sous contrat de franchise, contre 40% en Europe et 70% aux Etats-Unis. Les propriétaires peuvent bénéficier d’avancées technologiques et d’économies d’échelle, ce qui fait défaut en Suisse», précise Daniel Krisch, directeur de la stratégie chez Oracle Hospitality.
Pour Rémi Walbaum, Chief innovation officer à l’Ecole hôtelière de Lausanne (EHL), «c’est le modèle d’affaires répliqué de génération en génération, de jour en jour et de repas en repas, qui a empêché l’industrie hôtelière d’innover et de se préparer aux crises.» La nécessaire mutation du secteur constitue aussi une valeur éducative pour les étudiants. «Si l’on se réfère à l’évolution darwinienne, des modèles disparaîtront et laisseront la place à de nouvelles idées, qui feront le succès des futurs hôteliers», s’enthousiasme Sherif Mamdouh, responsable communication à l’EHL.
Pour soutenir l’industrie, l’EHL a partagé ses cours en ligne avec les membres d’HotellerieSuisse. Les nouvelles méthodes d’accueil des hôtes ont été les cours les plus suivis. «La réception traditionnelle n’existera plus, elle sera conçue comme un salon ouvert, où les hôtes prennent un verre pendant que le collaborateur de l’hôtel leur parle de visite de musées, d’opéra ou de circuits de randonnée», selon Ueli Schneider, responsable du développement des affaires d’Hotelleriesuisse.
Du coworking
Les sociétés de coworking misent aussi sur le savoir-faire des diplômés hôteliers dans le contact client et peuvent représenter un débouché important. «Les employés de l’hôtellerie ont le profil idéal pour gérer nos centres où nos clients optent dans la crise pour de nouvelles formes de travail hybride», positivise Philippe Peress, entrepreneur, propriétaire, avec le groupe J. Safra, de la franchise d’IWG Suisse (Régus, Spaces et Signature).

Deux nouveaux modèles d’affaires et une solution locale
«Si vous souhaitez parler à un humain pour de l’aide, restez en ligne, sinon pressez sur cinq pour être connecté à WhatsApp.» Bienvenue au Citizen M de Genève. Cet hôtel a ouvert le 1er septembre et propose à une clientèle urbaine un séjour entièrement sans contact (enregistrement, ouverture des portes, réglage de l’ambiance de la chambre, paiement via smartphone). Ce concept né en 2008 à Amsterdam veut bousculer l’industrie hôtelière traditionnelle. Le groupe aux 20 hôtels ambitionne d’en posséder 36 dans trois ans. «Le sans contact est la voie à suivre: 70% des hôteliers l’envisagent ou l’utilisent déjà et 70 % des clients interrogés sont prêts à retourner à l’hôtel s’ils réduisent le nombre de contacts physiques», chiffre Daniel Krisch, directeur de la stratégie chez Oracle Hospitality, qui a sondé 1800 grands hôtels et 4000 clients. Bien en amont de la phase d’accueil – qu’il soit sans contact ou physique – le défi est d’aller chercher le client avec les outils numériques. La disruption dans l’hôtellerie se joue dans l’émergence des compétentes en gestion des données. «Née avec la technologie, la nouvelle génération d’hôteliers l’a bien compris. Contrairement à ses aînés, elle sait aller chercher des ressources dans d’autres secteurs économiques et les attirer pour moderniser son industrie», pointe Christine Demen Meier, directrice générale Les Roches Crans-Montana et membre du conseil d’Innosuisse. Oyo est un autre nouveau modèle d’affaires basé sur le tout numérique. Venue cette fois d’Inde et financée par les géants américains, japonais et chinois du capital-risque, la société propose aux hôtels de transformer des étages entiers à son effigie (décoration des chambres et accessoires). Oyo forme le personnel de l’hôtel et propose les chambres rénovées sur son propre site de réservation. Dans ce modèle, Oyo n’investit ni dans l’acquisition de personnel, ni dans l’immobilier. Tout reste opéré par l’hôtelier, moyennant une commission de la société indienne. «L’hôtellerie ne se distingue pas du reste du capitalisme où les modèles évoluent sans cesse. Au schéma traditionnel de l’hôtel transmis de génération en génération a succédé la gestion d’actifs où la possession de l’immeuble est dissociée de la gestion des opérations. Aujourd’hui, on voit naître des marques, comme Oyo, qui ont la capacité d’amener du chiffre d’affaires à l’hôtelier», analyse Rémi Walbaum, Chief innovation officer de l’EHL. Dans l’attente du retour de la clientèle étrangère après la pandémie, la solution se trouve aussi dans la clientèle de proximité. L’hôtel de demain sera-t-il un lieu de passage, de vie et d’échange où l’on peut aussi dormir, et non le contraire? C’est le pari lancé par l’Intercontinental de Genève à la clientèle d’affaires, qui a déserté l’hôtel. Il propose des séjours à la semaine dédiés au télétravail (Workweek). Les clients grands comptes peuvent proposer cette formule comme un avantage salarial à leurs collaborateurs et prendre tout ou partie du coût (1000 francs, du lundi au vendredi).
Tour d’horizon des aides à court et à plus long termes
Fournir des armes aux hôteliers contre la mainmise des plateformes de réservation apporterait des perspectives à moyen terme à une industrie en panne. C’est ce que propose le Conseil fédéral avec la modification de la loi sur la concurrence déloyale, en consultation jusqu’au 26 février 2021. Mais pour HotellerieSuisse, qui porte ce combat depuis 2016, il faut aller plus loin. «Au-delà de la flexibilité des prix redonnée aux hôteliers sur leur propre site internet, c’est tout le système des clauses de parité dans les conditions générales qui doit être revu», considère Christophe Hans, responsable des affaires publiques de l’association faitière. Dans ces clauses, les hôteliers sont bloqués par les plateformes, qui exigent les mêmes avantages pour leurs clients que ceux donnés par les hôtels dans leurs réservations directes. Cela concerne notamment la clause d’annulation, l’offre du petit déjeuner ou l’obligation constante d’offrir des chambres sur les plateformes. Mais c’est à court terme que des aides supplémentaires sont vitales, pour faire face à l’ampleur de la pandémie. Et le Conseil fédéral y répond avec l’augmentation du montant de ses mesures pour les cas de rigueur à un milliard de francs (au lieu de 400 millions). A parts égales pour la Confédération et les cantons pour la première tranche de 400 millions et à 80% pour la Confédération pour les 600 millions supplémentaires. Le ministre des Finances Ueli Maurer a pourtant mis en garde: «La Confédération n’est pas le seul acteur sur qui compter: les propriétaires, voire les actionnaires doivent mettre la main à la poche.» HotellerieSuisse, pour qui la situation ne se normalisera pas avant 2022, voire 2023, a chiffré les besoins pour les cas de rigueur dans l’hôtellerie à 500 millions de francs. «Il y a urgence et cela ne dépend pas de la structure actionnariale de l’entreprise, mais de l’effondrement du marché: les hôteliers sont au bout de leurs liquidités et ont besoin d’une aide immédiate et de la réintroduction des crédits Covid-19», alerte son porte-parole. Selon le Secrétariat d’État à l’économie, le secteur de l’hôtellerie représente à ce jour 12,4% des 136.456 crédits Covid-19 accordés, soit 9.6 % des 16,9 milliards de francs.