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«Dans le litigation financing, les rendements ont par le passé pu être phénoménaux»

A la tête du groupe qui porte son nom, Eric Syz explique le potentiel méconnu du financement des litiges commerciaux. Il met aussi en garde contre le retour de l’inflation.

New York, le 7 août 1974. Le funambule français Philippe Petit au World Trade Center lors de sa traversée entre les deux tours. «Il maîtrisait la situation, réduisant le danger au seul risque résiduel, celui qui est acceptable. […] En finance, c’est la même chose», selon Eric Syz.
New York, le 7 août 1974. Le funambule français Philippe Petit au World Trade Center lors de sa traversée entre les deux tours. «Il maîtrisait la situation, réduisant le danger au seul risque résiduel, celui qui est acceptable. […] En finance, c’est la même chose», selon Eric Syz.
28 janvier 2021, 21h56
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Né à New York en 1957, Eric Syz a grandi à Genève. Sa carrière a commencé à Londres et à Wall Street avant qu’il ne rejoigne Lombard Odier en 1984. Douze ans plus tard, il cofonde la banque qui porte son nom. Fin 2019, il organise sa succession et se concentre sur la stratégie d’un groupe qui compte trois pôles: la banque, la gestion d’actifs et Syz Capital, spécialisé dans les investissements privés.

Les deux fils d’Eric Syz ont rejoint le groupe, Nicolas, en charge de la gestion de fortune, et Marc, à la tête de Syz Capital. Sa femme siège aussi au conseil d’administration.

Installé au quai des Bergues à Genève, Syz employait 267 personnes fin 2020, un chiffre qualifié de stable par le groupe si l’on exclut les équipes liées à la vente des fonds Oyster il y a presqu’une année.

CRISE COVID ET MARCHE DES AFFAIRES

Comment s’est achevée l’année 2020, si durement frappée par la pandémie de Covid-19, pour le groupe Syz et ses trois piliers, la banque privée, la gestion d’actifs et Syz Capital?

Nos trois piliers ont été marqués par cette pandémie. Malgré tout, chacun d’eux s’est bien comporté. Nous communiquerons nos chiffres 2020 avant avril.

La banque va finir l’année dans le positif, même si ce ne sera pas autant que prévu. Les portefeuilles discrétionnaires des clients ont achevé 2020 sur une performance positive comprise entre 3 et 13%, selon les devises et profils de risque. En mars, pourtant, les pertes ont pu atteindre jusqu’à -20% pour certains de nos pairs alors que nous étions uniquement à environ -10% sur cette même période lorsque nous avons réduit massivement le niveau de perte maximale («maximum draw-down»).

Nous avons mené une enquête de satisfaction auprès de nos clients privés. Ils nous ont témoigné leur contentement face à notre gestion des performances. Le plus important pour eux est que nous délivrions de bons rendements année après année, qu’ils n’aient pas de frayeur malgré la volatilité. Sinon, ils pourraient prendre peur et liquider leur portefeuille au plus bas, ce qui serait la pire des choses à faire.

Concernant la gestion institutionnelle, Syz Asset Management, a connu une bonne année, au-dessus du budget prévisionnel.

Qu’en est-il de Syz Capital, spécialisé dans le capital-risque lancé il y a à peine deux ans et qui perdait encore de l’argent en 2019?

Syz Capital fait aussi mieux que prévu. Nous avons atteint le seuil de la rentabilité et serons en avance par rapport au budget anticipé. C’est une start-up. L’interruption des voyages en mars a rendu leur travail difficile pour rencontrer de nouveaux clients et quelques compagnies cibles. Ils ont néanmoins réussi à lever des fonds à hauteur de 230 millions de francs.

2019 s’était conclue sur une perte de 25 millions de francs pour le groupe. Qu’en sera-t-il de 2020?

Nous enregistrerons encore une perte en raison d’amortissements liés à la vente de notre franchise de fonds de placement Oyster. Mais opérationnellement, les trois piliers sont dans le positif.

Les avoirs sous gestion du groupe étaient de 27,4 milliards de francs fin 2019. Ont-ils progressé ?

Sur une base comparable pour tenir compte de la vente d’Oyster, les avoirs seront en légère hausse.

«La première clé du succès reste simple: ne pas perdre d’argent! Or l’être humain, attiré par l’appât du gain, l’oublie parfois.»
«La première clé du succès reste simple: ne pas perdre d’argent! Or l’être humain, attiré par l’appât du gain, l’oublie parfois.»

Revenons à la performance pour vos clients. Dans le «Financial Times», vous avez déclaré que les actifs privés peuvent dégager un rendement annuel de 20 à 25%...

C’est possible dans le private equity, mais beaucoup plus difficile sur les marchés cotés. Pour obtenir de tels rendements, il faut savoir être hyper sélectif et patient. Nous avons aussi la bonne taille pour y parvenir. Etre un grand acteur, et avoir la pression d’investir d’importantes sommes, peut être un problème.

Un des types d’investissement que réalise Syz Capital et qui progresse particulièrement bien est le «litigation financing» (ndlr: des investisseurs financent des contentieux commerciaux et perçoivent une part des gains en cas de résolution positive). Nous, la famille, y sommes investis depuis longtemps mais nous l’avons ouvert à la clientèle l’année dernière. Par le passé, les rendements ont pu être phénoménaux.

C’est-à-dire?

Je ne souhaite pas articuler de chiffre pour ne rien promettre. Mais dans le «litigation financing» atteindre 20% est faisable.

Atteindre de tels rendements ne peut se faire sans compromis. Faut-il prendre plus de risque, ou accepter des investissements illiquides?

Oui, il y a un risque et une illiquidité, mais un tel rendement correspond aussi au fruit d’une certaine qualité. Plus il y a de risque, plus cela vous conduit à faire un travail de fond de qualité. Vous êtes alors mieux à même de juger le risque. C’est comme Philippe Petit au World Trade Center lorsqu’il a fait le funambule entre les deux tours. Il maîtrisait la situation, réduisant le danger au seul risque résiduel, celui qui est acceptable. Autrement dit, pour lui le risque était minime, bien plus faible que si j’avais, moi, marché sur ce câble! 

En finance, c’est la même chose. Il faut bien faire ses devoirs et analyser à fond le sujet. La décision d’investir est alors relativement plus facile. La première clé du succès reste pourtant simple: ne pas perdre d’argent ! Or l’être humain, attiré par l’appât du gain, l’oublie parfois.

Il faut aussi bien expliquer ce risque au client. Par beau temps, tout va bien. En cas de tempête, il risque de tout perdre!

Vous avez raison. Que faisons-nous? Dans le monde du «litigation», il y a probablement cinquante sociétés qui exercent ce métier. Une douzaine sont très bonnes, nous travaillons avec trois d’entre elles de manière très étroite. Chacune s’occupe de 25 à 50 cas avec nous, ce qui nous offre une importante diversification. Nous avons aussi un droit de veto sur chaque investissement. Par exemple, nous ne finançons pas de cas contre nos clients. Ce domaine n’est pas encore très connu. Nous y sommes depuis 7 ans, et nous avons commencé avec Burford Capital qui nous a permis de pratiquement décupler notre investissement.

Auriez-vous le nom d’un cas à citer qui fut un succès pour vous?

Bien que les cas individuels soient tenus à la confidentialité par le secret professionnel, nous soutenons des recours collectifs dans le monde entier en faveur de consommateurs et d’actionnaires lésés. Parmi les cas connus de cette nature, on peut citer les litiges visant à récupérer la valeur pour les actionnaires de Wirecard et le litige sur les émissions diesel de Volkswagen.

C’est la complexité des cas et la complexité d’accès à ces cas pour les clients qui crée de la valeur. Par ailleurs, ces litiges aboutissent rarement à un jugement mais plutôt à un accord au bout d’en moyenne 18 à 24 mois.

Ces investissements ne sont donc pas aussi illiquides que ceux dans les infrastructures par exemple, qui engagent les investisseurs sur 15 ans ou plus.



Communiquer sur ces blâmes [de la Finma] contribue-t-il à l’image de la place financière suisse? Je n’en suis pas sûr.»

Eric Syz

Vous dites que la première règle, c’est de ne pas perdre d’argent. Quels sont les grands risques financiers à surveiller en 2021?

Nous sommes dans un environnement structurel de japonification (ndlr: très faible croissance, faible taux d’intérêt et d’inflation) qui va perdurer un moment. En revanche, dans un cycle, et comme l’écrit Robert Schiller dans son livre «Narrative Economics», un changement de perception des acteurs peut conduire à des mouvements forts et créer des mini-cycles, comme peut-être en 2021.

Prenez l’inflation. Elle est très basse en raison de la chute des cours du baril de pétrole au début 2020. Aujourd’hui, le baril a nettement rebondi (ndlr : plus de 50 dollars) et, à partir du printemps, sur une base comparative de douze mois, l’inflation va «mécaniquement » remonter sans pour autant qu’il y ait de l’inflation réelle, c’est-à-dire une hausse généralisée des prix et des salaires. Il faudra donc surveiller le sentiment des opérateurs à ce sujet car, si la perception sur l’inflation change, cela risque de remettre en cause les anticipations de soutien prolongé des banques centrales, et de secouer les marchés qui ont largement été portés par leurs politiques monétaires très accommodantes en 2020. Cette potentielle peur de l’inflation et ses conséquences sur la politique des banques centrales sont un risque pour les marchés financiers en 2021, qui nous a conduit à commencer à mettre en place des stratégies de couverture des portefeuilles.

GOUVERNANCE

Pour le groupe Syz, 2020 a aussi été marquée par un blâme de la Finma, «en raison de manquements en matière de lutte contre le blanchiment d’argent», en lien avec un client venant d’Angola. C’est assez rare. Pourquoi un tel problème s’est-il produit?

Ce cas est hérité du rachat de Royal Bank of Canada (Suisse). Nous avons traité ce cas (ndlr: Syz a signalé le cas à l’autorité de lutte contre le blanchiment d’argent), ce que la Finma a reconnu. Pourtant nous avons reçu ce blâme. Cette situation s’est aussi produite pour d’autres banques dans des cas similaires. Je me demande en revanche: communiquer sur ces blâmes contribue-t-il à l’image de la place financière suisse? Je n’en suis pas sûr.

Vous ne voudriez pas de blâme, ou ne pas le dire…

Non, j’accepte le blâme et le comprends même si je peux ne pas être d’accord.

Vous avez évoqué l’appât du gain à propos de la prise de risque. N’est-il pas difficile de dire non à un client qui, comme dans ce cas, dépose près d’un milliard de francs dans votre banque?

La question est de savoir si le client est légitime ou pas. N’oubliez pas que, à ce jour, son pays de domicile n’a pas fait de démarche d’entraide judiciaire pour réclamer quoi que ce soit. La réalité est que pour cacher de l’argent sale, il ne faut vraiment pas venir en Suisse, même si elle continue d’être connue pour cela, comme dans les films de James Bond. D’où ma question sur le fait de rendre public ces blâmes et l’impact sur l’image de marque de la place financière suisse. Alors que les banques suisses devraient être mieux connues pour la sécurité et la qualité de la gestion qu’elles offrent.

Après ce cas, avez-vous changé quelque chose?

Cela a contribué à renforcer encore nos procédures, mais nous n’avions pas attendu le blâme pour agir.

C’est notre devoir comme investisseur, d’inciter les entreprises qui polluent à changer.»

Eric Syz

FINANCE DURABLE

Quelle est l’importance des critères ESG pour le groupe Syz?

Pour nous, famille et entrepreneurs, nous ne pouvons entreprendre que de manière durable, à tous les points de vue tant pour l’entreprise que nos collaborateurs. Sinon nous serions des opportunistes. 

Nous avons moins parlé de finance durable que d’autres, mais cela ne veut pas dire que nous sommes inactifs. Nous avons par exemple été les premiers en Suisse à émettre des obligations SDG (ndlr: objectifs de développement durable de l’ONU) avec la Banque mondiale. Nous avons aussi proposé à nos clients une stratégie d’investissement de niche qui nous permet de planter un arbre pour chaque 1000 euros investis – ce qui correspond à 25 mille arbres à ce jour.

Planter des arbres, c’est ce que beaucoup considèrent comme du greenwashing. Cela ne va pas décarboner nos énergies...

Vous avez raison, mais il faut commencer par quelque chose et il est aussi important de visualiser ce type d’investissement. Nous faisons plus, par exemple, nous avons lancé le premier fonds d’obligations vertes domicilié en Suisse.

Quelles décisions difficiles avez-vous prises pour respecter les critères ESG? Peut-être êtes-vous sorti des investissements dans le charbon?

Nous aurions de la peine à investir dans les sociétés pétrolières, si elles ne font rien. Car il ne s’agit pas de juger le passé, mais d’accompagner le changement. On ne peut corriger le passé, alors qu’il est possible d’améliorer le futur. C’est notre devoir comme investisseur, d’inciter les entreprises qui polluent à changer. Notre taille nous permet d’ailleurs d’engager plus facilement le dialogue avec les compagnies dans lesquelles nous investissons.

Un grand actionnaire comme BlackRock, qui détient des parts importantes dans la plupart des grandes sociétés cotées, ne sera-t-il pas plus écouté?

Il y a bien sûr le rapport de force, mais si la discussion est perçue comme menaçante par le plus petit ou le plus faible, elle est difficile. Cela dit, je salue le retournement opéré par Larry Fink (ndlr: président et CEO de BlackRock) en faveur de la finance durable.

Syz AM a été distingué par Hirschel & Krame RIBI (10e meilleur gérant suisse ESG). Mais il existe tellement de classements... Comment informer objectivement les investisseurs?

Nous n’avons pas postulé ni payé pour figurer dans ce classement. Le danger serait de gérer en fonction des critères des classements plutôt que de réellement agir. C’est la raison pour laquelle nous développons l’investissement d’impact. Ce n’est pas de la bienfaisance. Nous souhaitons soutenir de vrais projets industriels qui produisent un impact ESG positif.

Le groupe Syz en 6 dates

1996 Création de la banque Syz et des fonds Oyster par Eric Syz, Alfredo Piacentini et Paolo Luban. 2005 Les actifs sous gestion dépassent les 15 milliards de francs. 2014 Paolo Luban et Alfredo Piacentini quittent le groupe. 2015 Syz acquiert Royal Bank of Canada (Suisse). 2018 Lancement de Syz Capital, spécialisé dans les investissements privés. 2020 Cession des fonds Oyster à iM Global Partners.