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«D’accord avec les objectifs de l’initiative mais absolument pas avec ses moyens»

Entreprises responsables. Christoph Mäder, le nouveau président d’Economiesuisse, combat avec vigueur l’initiative populaire.

Christoph Mäder. Le président d’Economiesuisse affirme que la position contre l’initiative a été prise à l’unanimité.
Christoph Mäder. Le président d’Economiesuisse affirme que la position contre l’initiative a été prise à l’unanimité.
Philippe D. Monnier
Entrepreneur et administrateur
03 novembre 2020, 21h00
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Le 29 novembre 2020, les citoyens suisses décideront du sort de l’initiative populaire fédérale «Entreprises responsables – pour protéger l’être humain et l’environnement». En cas de refus, c’est le contre-projet indirect (donc sans modification de la Constitution), adopté par le Parlement et soutenu par le Conseil fédéral, qui entrera en vigueur. Economiesuisse s’oppose fermement à cette initiative hautement émotionnelle mais également très technique.  C’est le combat de Christoph Mäder, élu en septembre à la présidence de la Fédération des entreprises suisses (ou Economiesuisse). Titulaire d’un master en droit à l’Université de Bâle, il a travaillé pour plusieurs organisations avant de rejoindre le groupe Syngenta. Entre 2000 et 2018, il y a exercé diverses fonctions au sein de la direction. Parallèlement à son activité chez Syngenta, il a également été président de scienceindustries. Christoph Mäder est actuellement membre du conseil d’administration de plusieurs entreprises nationales et internationales telles que Bâloise, Ems-Chemie et Lonza. Concernant l’initiative «entreprises responsables», la droite est un peu désunie. Observez-vous également des différences d’opinion parmi vos membres? Pas du tout. Notre position contre cette initiative a été prise à l’unanimité. Aucun de nos membres n’y est favorable. Certains entrepreneurs sont publiquement en faveur de l’initiative. Comment l’expliquez-vous? Je ne vais pas spéculer et supposer qu’il s’agit de cas de green washing. Nous sommes tous d’accord sur les objectifs de l’initiative, c’est-à-dire le respect des droits de l’homme et de l’environnement. Par contre, à Economiesuisse, nous sommes convaincus que les moyens définis dans le cadre de cette initiative sont complètement inadéquats. Force est de constater que quelques entrepreneurs ont une appréciation différente. Exercer la justice suisse dans des pays pauvres serait une démarche colonisatrice. Mais n’est-ce pas ce que font déjà les Etats-Unis, par exemple avec l’application extraterritoriale de leurs lois fiscales? Bel exemple! En tant que petit pays, nous devons justement nous opposer avec vigueur à cette politique des puissants! Etes-vous confiant quant à la probité du système judiciaire de (certains) pays pauvres? Fondamentalement, il n’est pas correct de juger – de Suisse – la qualité des systèmes judiciaires dans des pays en voie de développement. Et, de toute façon, cela est nécessairement une question d’appréciation; je ne suis par exemple pas d’accord avec certains aspects de la justice allemande. En outre, les pays pauvres n’ont pas nécessairement de mauvais systèmes de justice. Finalement, respecter les systèmes judiciaires des autres nations est sans doute le meilleur moyen de contribuer à leur amélioration. En cas d’acceptation de l’initiative, certaines entreprises basées en Suisse déplaceraient leur siège vers d’autres juridictions. Pourriez-vous mentionner quelques exemples ou quantifier ce risque? La délocalisation d’une société est presque toujours due à une série de raisons et l’acceptation de l’initiative ajouterait une raison supplémentaire. Dans les cas limites, on peut raisonnablement craindre que certaines sociétés très mobiles (du type sociétés de négoce) décident de délocaliser mais s’il n’est pas possible à ce stade de citer des noms de sociétés ou de quantifier ce risque. Par analogie, en cas d’acceptation de l’initiative, il n’est pas possible de quantifier avec précision les réductions en termes d’investissements suisses dans certains pays en voie de développement. Néanmoins, on observe en permanence que les investissements étrangers fluctuent considérablement en fonction des conditions-cadres. Economiesuisse met volontiers en avant le comportement éthique de ses entreprises membres (directes ou indirectes). Existe-il aussi des moutons noirs? Je n’ai pas le moindre doute quant à la probité de l’écrasante majorité de nos entreprises même si, par définition, il est impossible d’exclure l’existence de quelques exceptions. Sur votre site internet, on peut lire que «les organisations non-gouvernementales et les milieux ecclésiastiques doivent faire leur autocritique». Pour gagner des voix, est-ce une bonne stratégie d’attaquer ces milieux? Remettons les choses dans leur contexte. Certaines organisations non-gouvernementales et certains milieux ecclésiastiques sous-entendent que notre opposition à l’initiative «entreprises responsables» est due à une absence d’éthique de notre part. Ce reproche, nous ne pouvons tout simplement pas l’accepter. L’initiative se focalise complètement sur les aspects juridiques. Néanmoins, les risques réputationnels ne sont-ils pas encore plus importants? Les risques réputationnels sont en tout cas comparables aux risques légaux. Ce qui nous déplaît, c’est que les initiants semblent vouloir créer en Suisse une base légale qui permettrait de multiplier les attaques contre la réputation des entreprises suisses. Si vous aviez le choix entre le contre-projet indirect ou le statut quo, choisiriez-vous le statut quo? Absolument pas car le contre-projet indirect apporte des avantages significatifs: il est conforme aux standards internationaux les plus avancés au monde; sa mise en place sera très rapide; il combine des obligations pour les grandes entreprises et des devoirs de diligence pour toutes les entreprises dans les domaines critiques que sont le travail des enfants et les minerais provenant des zones de conflit; finalement, il est basé sur la coopération et non – à l’instar de l’initiative – sur la confrontation. La bureaucratie générée par le contre-projet indirect ne serait-elle pas considérable? Ce qui est sûr, c’est que l’initiative générerait des coûts et une bureaucratie bien plus significative car la menace permanente de procès provoquerait une grande incertitude.  Toutes les entreprises – grandes et petites – devraient dépenser des sommes colossales sans pour autant avoir la moindre garantie que leurs fournisseurs à l’étranger n’enfreignent les droits de l’homme et de l’environnement. C’est demander l’impossible aux PME! Que pensez-vous de la fiabilité de rapports basés sur des affirmations faites par des (sous)-sous-traitants? Ou de la crédibilité d’experts choisis et payés par les entreprises auditées? Je comprends vos appréhensions mais le fait que les rapports doivent rester publiquement disponibles pendant un période de dix ans mettra une énorme pression sur les entreprises.  Les experts indépendants seront certes rémunérés par les entreprises auditées (par qui d’autres?) mais si ces experts devaient réaliser un travail peu sérieux, leur réputation serait rapidement ruinée; j’y vois une analogie directe avec la situation des auditeurs statutaires. Plus généralement, les grandes entreprises (avec plus de 500 collaborateurs) ne pourront pas se permettre d’émettre des «fake reports» car les réactions négatives de leurs parties prenantes (clients, employés, actionnaires et fournisseurs) seraient alors très vives.