Les conséquences dangereuses de la forte appréciation du dollar
Le billet vert reste une valeur refuge, qui peut mettre certaines entreprises dans une situation financières délicate. Par Marie Owens Thomsen
Le dollar américain a connu une forte appréciation au cours des deux dernières années, ce qui impacte la plupart de ses partenaires commerciaux, dans un mouvement qui a été accéléré par l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février. L'euro, par exemple, s'est déprécié de près de 14% par rapport au billet vert cette année. Des devises des pays émergents ont subi des dépréciations bien plus importantes, par exemple la roupie du Sri Lanka qui a perdu plus de 80% de sa valeur contre le dollar sur la même période.
Importations plus chères
En temps de crise, le dollar est considéré comme une valeur refuge et les flux de capitaux ont tendance à sortir des pays émergents notamment en faveur du dollar, exacerbés également par la hausse des taux d’intérêt américains. Un pays qui subit une dépréciation de sa devise, devra faire face à un taux d'inflation accrue car les importations deviennent plus chères. En outre, toute dette détenue en dollars devient plus coûteuse à rembourser, proportionnellement à l'ampleur de la dépréciation.
A moins que le pays en question ne gagne des dollars sur ses exportations potentielles en quantités suffisantes, une banque centrale peut se retrouver à court de réserves de change alors qu'elle s'efforce d'honorer ses obligations financières extérieures. In fine, cela peut conduire à des crises de balance des paiements et à des défauts de paiement sur la dette extérieure.
Toute entreprise étrangère réalisant des ventes dans les pays concernés peut se trouver dans l'impossibilité de rapatrier les fonds qui lui sont dus
Tout pays confronté à de tels défis peut rationner l'accès à ses réserves de change limitées. Des contrôles de capitaux peuvent être mis en place qui peuvent, par exemple, limiter le montant de devises étrangères que les citoyens et les entreprises sont autorisés à obtenir.
Les compagnies aériennes, ainsi que toute entreprise étrangère réalisant des ventes dans les pays concernés, peuvent se trouver dans l'impossibilité de rapatrier les fonds qui leur sont dus. En 2016, les compagnies aériennes ont dû entièrement passer en pertes 3,7 milliards de dollars de fonds bloqués au Venezuela. En septembre de cette année, Iata évalue les fonds bloqués de l'industrie à 1,9 milliard de dollars dans le monde. Le risque que ce chiffre augmente est élevé, particulièrement dans les pays avec des niveaux de dette extérieure importants et qui ont subi des dépréciations conséquentes de leurs devises.
Cerle vicieux
En pratique, ce cercle vicieux se produit lorsque des billets d’avion sont vendus par des agents de voyages locaux ou directement par la compagnie aérienne en monnaie locale. Ces ventes s’accumulent tant qu’elles ne peuvent pas être échangées contre des dollars et rapatriées. Même la période d'attente d'un tel rapatriement représente un risque important pour les revenus des compagnies aériennes car la monnaie locale pourrait continuer à se déprécier.
Le risque ici ne concerne pas seulement les finances des compagnies aériennes, mais en fin de compte la connectivité des pays, et donc leur capacité à soutenir l’économie locale. Que les compagnies aériennes ne puissent pas financer leurs opérations sans moyen de se faire payer va de soi, et plus elles continuent ces opérations, plus les arriérés augmentent et la probabilité de récupérer la totalité des fonds diminue.
Une compagnie aérienne a déjà interrompu ses vols de passagers sur les routes nigérianes en raison des fonds piégés. D'autres pourraient bien suivre, en raison des fonds bloqués qui sont estimés à plus de 500 millions de dollars dans ce pays, plus d’un quart du total mondial à ce jour.