Au cœur du revivalisme américain
Detroit montre qu’il y a une vie après la mort (économique) et qu’il existe une Amérique qui se soigne d’abord elle-même avant de songer à dominer le monde. Par Guy Mettan
S’il est une ville qui ne ressemble pas au cliché américain, c’est bien Detroit. Ici, pas de Silicon Valley flamboyante, de géants de la tech courtisés par les caméras, d’universités prestigieuses de la Ivy League, de riches ghettos pour retraités aisés ou de galeries branchées pour papier glacé. Juste un univers de béton et de verre froid, de rues désertes et venteuses, de banlieues interminables, d’usines à moitié abandonnées, de hangars à la recherche de locataires et de quartiers déshérités tapissés de maisons en ruine.
Et pourtant, une fois passée la première impression, cette ville n’est pas sans charme ni sans potentiel. C’est en tout cas l’avis des trois entrepreneurs que nous avons rencontrés, Ron Sloane, manager de la filiale du groupe bernois Güdel (une centaine d’employés, 60 millions de chiffre d’affaires, spécialisée dans le laminage de précision et la gestion de chaînes de production industrielle), Frank Muller, consul honoraire de Suisse et patron d’Exlterra, une start-up spécialisée dans la gestion hydrique et la réhabilitation des sols à l’aide de tubes et de foreuses, et John Turrettini, avocat chez General Motors.
Tous trois confirment la renaissance de la ville depuis une dizaine d’années. Il faut dire que celle-ci revient de loin. Aucune ville au monde n’a atteint un tel sommet et connu une telle chute aussi rapidement.
Pendant quatre décennies, grâce aux usines Ford et General Motors, Detroit a vécu l’ivresse du succès industriel avant de sombrer. Entre 1950 et 2000, elle perd les deux tiers de sa population, soit un million d’habitants; en 1967, elle est frappée par les émeutes raciales les plus sanglantes du pays tandis que la corruption, la drogue et le chômage prolifèrent; les fermetures d’usines et de commerces s’enchaînent tandis que les immeubles du centre-ville et des quartiers entiers sont abandonnés; enfin le fond du trou est atteint en 2013 avec la mise en faillite de la ville. De capitale industrielle du pays, la ville est devenue la capitale des villes naufragées.
Mais depuis dix ans, elle remonte peu à peu la pente. De plus en plus d’immeubles sont réhabilités, les lumières reviennent au centre-ville, les usines Ford, GM et Chrysler se remettent à tourner – nous avons visité les chaînes d’assemblage des pick-up Ford à Dearborn — les artistes réinvestissent la ville et multiplient les fresques, les ateliers, les expositions, un nouveau métro aérien est inauguré.
Cette atmosphère de reconstruction lente est sensible au centre-ville, certains quartiers restant encore naufragés. Mais cette reprise, sur fond de naufrage, lui donne un caractère particulier et plutôt attractif.
Des start-up renaissent sur les décombres de ce qui reste de la haute tradition de design industriel et de marketing publicitaire. Le Detroit Institute of Arts, l’un des plus grands musées d’art américain, a pu être sauvé du démantèlement grâce à des sponsors privés tandis que l’aéroport métropolitain a pu conserver sa vocation internationale. Et avec près de 75 % de Noirs, 20 % de Blancs et 5% d’Hispaniques, la ville semble avoir retrouvé une démographie apaisée.
Cette atmosphère de reconstruction lente est particulièrement sensible au centre-ville, certains quartiers restant encore naufragés. Mais cette reprise, sur fond de naufrage, lui donne un caractère particulier et enfin de compte plutôt attractif. Les prix de l’immobilier sont bas, les ouvriers qualifiés disponibles, bien que les Etats-Unis souffrent de l’absence du système de formation d’apprentis qui fait la force de la Suisse.
En conclusion, Detroit montre qu’il y a une vie après la mort (économique) et qu’il existe une Amérique discrète, inventive, résiliente, qui se soigne d’abord elle-même avant de songer à dominer le monde à coups de bombes, de changements de régimes et de leçons de morale. C’est une bonne nouvelle.